Le confinement, une "bombe à retardement" pour les personnes en difficulté psychique

Le secteur de la santé mentale tire vendredi la sonnette d'alarme face à la crise sanitaire du nouveau coronavirus. "D'un côté l'activité psychiatrique s'est effondrée, de l'autre les problèmes mentaux ne font qu'augmenter", avertit le Pr Charles Kornreich, chef de service en psychiatrie au CHU Brugmann, qui s'attend à un "effet rebond" à la fin des mesures de confinement. "Cette situation inédite affecte durement la santé psychique de très nombreux citoyens" alors que psychiatres et psychothérapeutes ne sont souvent plus joignables qu'à distance, renchérit son confrère, Pierre Schepens, médecin-chef de la clinique de la forêt de Soignes.

Déjà laissés pour compte en temps normal, les patients psychiatriques tombent encore davantage dans l'oubli en période de crise sanitaire. De nombreuses structures d'accueil, à l'instar des centres ou des hôpitaux de jours, ferment d'ailleurs leurs portes par crainte de contamination tandis que les équipes mobiles ne se déplacent plus.

"Les patients se retrouvent ainsi souvent 'abandonnés' dans l'indifférence quasi générale", déplore le Dr Schepens. "Dans les services et hôpitaux psychiatriques, les patients sont tenus au confinement, sans sortie ni visite", abonde-t-il. Pour le professeur Charles Kornreich, ces patients vivent dès lors une double peine. "En plus de leur maladie mentale s'ajoute le confinement. Or, leur traitement passe par le soutien social. Ils accusent donc une perte considérable", pointe-t-il. "Allez faire comprendre à quelqu'un de délirant ou de paranoïaque qu'il va devoir rester dans sa chambre pendant deux semaines et qu'il ne pourra plus prendre ses repas avec les autres, ni partici per à des activités de groupe", illustre le président de l'Association des médecins chefs d'hôpitaux psychiatriques francophones, Eric Constant.

Les professionnels de la santé mentale relèvent le caractère "inédit" de cette crise sanitaire. "C'est la première fois qu'on arrive à une situation pareille et le personnel psychiatrique n'est clairement pas préparé pour faire face à une problématique somatique comme celle du coronavirus", observe M. Schepens.

"On comprend que le gouvernement ait mis l'accent sur les hôpitaux généraux, qui se trouvent en première ligne. Mais les autres structures sont complètement désarmées. On navigue à vue. On se concentre sur les cas urgents. Un alcoolique qui veut faire une cure de désintoxication par exemple, c'est remis à plus tard", s'inquiète Eric Constant.

Celui-ci déplore le manque de directives reçues des autorités, alors que des milliers de patients et de travailleurs sont concernés. "Il est du devoir des autorités de ne pas ignorer les personnes les plus faibles. C'est aussi à cela que se juge l'état d'une démocratie", souligne-t-il. "On nous répond souvent: 'la psychiatrie, c'est différent'. Eh bien non, ce n'est pas différent. Le Covid-19 n'est pas sélectif et la maladie mentale n'immunise pas contre les maladies physiques et les infections", s'insurge pour sa part Pierre Schepens. "Est-ce que vous trouvez héroïque le fait qu'un praticien reçoive des patients potentiellement contaminés sans pouvo ir se protéger, faute de matériel? Non, c'est juste lamentable", commente encore Eric Constant.

Les psychiatres mettent par ailleurs en garde contre l'angoisse de la population en général face à la crise sanitaire, surtout chez les personnes isolées et fragilisées. "Tout va dépendre de la durée du confinement. Si les mesures de restrictions se prolongent, la situation va s'aggraver. Les patients psychotiques, comme les schizophrènes par exemple, risquent de décompenser, ceux soignés pour une addiction vont avoir envie de consommer...", alerte le Pr Charles Kornreich, qui entrevoit une "petite bombe à retardement". "Les plus fragiles psychologiquement risquent de craquer et de venir alourdir le dispositif de soins, déjà presque saturé", estime quant &a grave; lui Pierre Schepens. "Sans travail thérapeutique ni lieu de parole, et si l'offre de soins reste concentrée pendant une longue période sur le coronavirus, la situation risque de dégénérer en émeutes comme dans les prisons en Italie", prévient-il.

La crise sanitaire accentue en effet le mal-être des personnes angoissées et seules, confirme la présidente de l'Union professionnelle des psychologues (UPPsy), Martine Vermeylen. "On constate un pic incroyable, on n'a jamais vu ça. Certains n'osent plus rien faire tandis que les patients présentant des troubles psychiques souffrent encore plus à cause des mesures de confinement", explique-t-elle. "Les autorités nous ont demandé d'assurer la continuité des soins, mais à part les psychologues indépendants qui se trouvent en première ligne et qui poursuivent comme ils peuvent par téléphone, Skype ou Zoom, beaucoup d'autres psychothérapeutes ont arrêté de travailler."

"Les règles épidémiologiques ne doivent pourtant pas empêcher de tenir compte de l'humain en tant que 'sujet' et 'être relationnel'", insiste le Dr. Schepens.

Le président de l'Association des médecins chefs d'hôpitaux psychiatriques francophones Eric Constant a, avec son homologue flamand, adressé, samedi dernier, une lettre à la ministre fédérale de la Santé Maggie De Block ainsi qu'à la Première ministre Sophie Wilmès afin de leur exposer la situation du secteur psychiatrique. Mais la missive est jusqu'ici restée sans réponse.

Le secteur de la santé mentale revendique notamment que des lignes de conduites soient édictées et que celles-ci prennent en compte la spécificité des hôpitaux psychiatriques et de leur patientèle. Il réclame par ailleurs que le personnel soit considéré comme des opérateurs de santé "comme les autres" et ait, dès lors, accès aux masques et matériel de protection. Enfin, il demande de créer un cadre afin de pouvoir assurer les consultations, même a minima.

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Derniers commentaires

  • CHRISTINE LAMBIN

    30 mars 2020

    Que notre gouvernement réagisse !!!
    Des malades psychiatriques vont se suicider, commettre des délits car en manque de stupéfiants, ne vont plus être capables de rester confiner, vont s'en prendre à leurs proches ????????
    Une seule chose excellente : les casinos, maisons de jeux, Ladbrokes sont fermés ????, j'en suis ravie !!! Si au moins Ladbrokes pouvait rester fermé définitivement, il met tant de familles en danger, il n'y a pas moyen de s'y interdire !

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