La gestion de la crise du Covid a oublié d'interroger les sciences, préférant attendre une réponse de "la" science, estime la philosophe de l'ULB Isabelle Stengers dans une des capsules vidéo publiées par l'Atelier des droits sociaux. Cette organisation bruxelloise d'éducation permanente a interrogé une série d'experts sur les conséquences de la gestion de la crise du Covid sur la société et sur ce que cette crise en a révélé.
"On fait comme s'il y avait 'une' méthode scientifique tout terrain, qui allait répondre de manière objective, de manière à faire taire les gens. La pluralité des sciences (...) a explosé", con state Isabelle Stengers, elle-même philosophe des sciences. "Il y a des politiques que cela arrange bien alors qu'ils n'écouteront en rien (...) ces autres scientifiques qui sont les psychologues. Ceux-ci pouvaient témoigner du dégât que cela pouvait faire sur les enfants que de perdre leur socialité". Selon elle, "la science était soumise à la non-décision politique". Cela pourrait ne pas être sans conséquence: "on pourrait perdre confiance en des sciences qui pourraient avoir quelque chose à nous dire", soulève-t-elle.
Autre philosophe interrogé, le politologue et président du CRISP Vincent de Coorebyter voit dans ce choc sanitaire "une crise de l'efficacité de l'action publique" mais également de l'entrepreneuriat. "Je suis frappé aussi par la succession de scandales du côté des entreprises privées (...) Nous sommes dans un système démocratique qui est très exigeant en termes de transparence et de reddition de comptes de la part des responsables politiques et s'est installée une culture de manque de curiosité voire d'impunité des entreprises privées", décrypte-t-il.
Les manquements en termes d'équipement (masques, testing) notamment ont amené à des prises de décision qui viennent aujourd'hui interroger la démocratie. "Nos libertés ont fait l'objet d'une restriction qui n'a jamais été connue depuis la deuxième guerre mondiale (...) Il y a eu d'autres épidémies depuis la deuxième guerre mondiale qui n'ont pas entraîné de restrictions aux droits et libertés", observe la rectrice de l'ULB Annemie Schauss, professeure de droit public.
Pour le sociologue Matéo Alaluf (ULB), la crise a révélé la capacité des travailleurs à jauger leur émancipation dans le monde du travail. "La famille, le foyer, sont peut-être des lieux de domination et d'exploitation au moins aussi importants", est-il apparu durant le confinement. Le sociologue note que le taux d'absentéisme a été plus faible dans des secteurs comme les maisons de repos où le travailleur a pu lutter pour son émancipation, que dans d'autres, comme les transports en commun, où il s'est interrogé sur la finalité de son travail.
Ce constat est identique pour l'école, enchaîne Pierre Waaub, enseignant et expert syndical et associatif. "C'est par la confrontation en classe entre les élèves que se fait l'apprentissage et ce collectif a manqué. Il n'a pas été possible de le reconstituer à la maison parce que les moyens de communication mis en place ont privilégié l'individuel".
Pour éviter qu'une telle crise ne se reproduise, il importe de réfléchir aux origines des pandémies et de miser plus sur la médecine de prévention, analyse François Perl, directeur général du service d'indemnités de l'INAMI. "Il faut repenser la politique de prévention et mieux la lier au curatif (...) On soigne toute une série de maladies qui pourraient être évitées grâce à une meilleure politique de prévention", souligne-t-il.
En attendant, cette crise pourrait avoir un impact budgétaire et économique lourd de conséquences. Economiste au CADTM, Eva Betavatzi plaide pour l'abolition des dettes illégitimes. "On va donner des sous aux hôpitaux sous forme de dettes. L'hôpital devra prendre des mesures d'économies pour pouvoir rembourser ces dettes-là", craint-elle.
Les capsules de l'Atelier des droits sociaux, consultables à l'adresse http://www.
> Déjà disponibles :
1. François Perl (santé publique) : https://www.youtube.com/watch?v=pnrhoJmoqBE
2. Pierre Waaub (enseignement) : https://www.youtube.com/watch?v=-Mzi1HedGeA&t
3. Annemie Schauss (droits et libertés) : https://www.youtube.com/watch?v=p5lluGWPPwU&t
Disponibles dès le 12/10/2020
4. Matéo Alaluf (sociologie) : https://www.youtube.com/watch?v=5zC4xK7GuZw
5. Vincent De Coorebyter (politique) : https://www.youtube.com/watch?v=sA9CJ9lTrfI
6. Eva Betavatsi (économie) : https://www.youtube.com/watch?v=P0vYmnGa3V0
7. Isabelle Stengers (philsophie) : https://www.youtube.com/channel/UCP9M7TEwZQEQ6VVJaxAPtMw