Deux jeunes entrepreneurs français, Loïc Libot et Boris Hirtzig, ont décidé de créer des Centres médicaux de soins immédiats afin de répondre aux besoins des patients qui doivent voir rapidement un médecin pour des urgences relatives. En 12 ans, 35 CMSI ont vu le jour dans l’Hexagone et plusieurs centres vont être ouverts prochainement. Une délégation belge, emmenée par l’Inami et Antares Consulting, est allée visiter le CMSI de Nancy pour voir si cette approche innovante est exportable en Belgique.
Au centre de Nancy, un grand bâtiment moderne regroupe un CMSI et des cabinets de consultations privés. Les patients peuvent s’y rendre en transport en commun, en voiture ou en ambulance. Un vaste parking est prévu à cet effet.
Pas de fioritures : le patient est pris en charge dans un sas et orienté vers une salle d’attente. Ensuite, il est dirigé vers un cabinet de consultation et pris en charge par un binôme médecin-infirmier. Si nécessaire, des examens d’imagerie médicale (scanner) et de biologie peuvent être directement réalisés sur place. La prise en charge est rapide et efficace. En 2023, le CMSI de Nancy a soigné 45.366 patients, soit près de 130 patients par tranche de 12 heures ouvrables.
Pour faciliter le travail des soignants, tous les cabinets sont équipés et conçus de la même façon. Les équipes travaillent dans une zone délimitée pour éviter de se déplacer inutilement.
Les tarifs pratiqués sont ceux de la médecine générale au tarif conventionné.
L’idée forte des CMSI est de regrouper des médecins et des infirmiers motivés qui veulent s’investir dans un projet entrepreneurial au service de la population.
« Les médecins et les infirmiers bénéficient d’un statut libéral au sein d’un projet commun, ce qui engendre un fort sentiment d’appartenance à un projet entrepreneurial partagé », explique Stéphane Le Grand, directeur d’Antares Consulting. « Le statut libéral des médecins et infirmiers les place dans une dynamique particulière : chacun d’eux porte une même responsabilité concernant la réputation du centre et se doit donc de garantir une prise en charge irréprochable de chaque patient. »
Le Dr Loïc Libot, cofondateur de CMSI France, souligne que les professionnels actifs dans les CMSI ont généralement travaillé dans des services d’urgences. Les CMSI leur permettent de retrouver un certain équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, grâce à une organisation plus flexible. Les prestataires peuvent combiner plusieurs activités, par exemple travailler dans plusieurs CMSI, ou exercer à l’hôpital ou dans un cabinet. Cette pratique permet aussi à certains médecins de faire une pause bienvenue après 20 ans de service aux urgences hospitalières.
Soutien structuré
Les différents centres sont accompagnés dans leur développement par CMSI France, une structure qui propose des conseils juridiques, financiers, organisationnels, informatiques (IA)… et des formations. « Par exemple, nous proposons des formations métiers, mais aussi des formations sur la manière de se comporter avec les patients », explique Boris Hirtzig, cofondateur de CMSI France. « Actuellement, CMSI France regroupe 600 professionnels de santé et propose 35 centres ouverts au public. Fin 2026, nous en aurons 50. Nous allons bientôt dépasser le million de patients vus par an au sein de notre réseau. Tous les CMSI sont intégrés dans le parcours de soins : ils travaillent avec les hôpitaux du secteur et avec les médecins libéraux. CMSI France ne se contente pas de créer des structures : nous allons poser un label structurant qui reprend 13 thèmes importants pour garantir la qualité, la sécurité et l’hygiène dans nos centres. Nous effectuons deux visites par an dans chaque centre pour vérifier l’évolution des pratiques. »
Le CMSI est-il un poste de garde augmenté ?
Qu’est-ce qui différencie les Centres médicaux de soins immédiats de nos postes de garde ? D’abord, la spécialisation des médecins, qui sont pour la plupart des urgentistes. Ensuite, le fonctionnement systématique en binôme médecin-infirmier et l’équipement : la plupart des CMSI sont dotés d’un laboratoire et d’un scanner. Les horaires sont également différents : les CMSI sont ouverts uniquement en journée, de 8 heures à 20 heures, en semaine et le week-end.
Les CMSI travaillent en étroite collaboration avec les services d’urgences hospitaliers et les médecins généralistes pour ne prendre en charge que les urgences relatives (classées CCMU 1 et CCMU 2).
Un gain estimé à 61 euros par passage
Antares Consulting a réalisé une étude pour évaluer le rapport coût-efficacité des CMSI. Le cabinet a analysé, d’une part, le coût du passage dans ce type de structure et, d’autre part, la pertinence, l’efficacité et l’intégration des CMSI dans l’écosystème sanitaire français. « Notre analyse économique révèle que le coût moyen par passage au sein des CMSI serait inférieur à celui des services d’accueil des urgences (SAU) de 61 euros par passage », explique Stéphane Le Grand. « En installant un CMSI dans chaque commune française de 50.000 habitants, on pourrait atteindre une réduction des coûts de 81 millions d’euros, sous réserve d’une recomposition de l’offre de soins (dans 131 communes). »
Un modèle adaptable ?
Lors du voyage d’étude, des dirigeants de l’Inami, du SPF Santé publique, des fédérations hospitalières et des mutuelles ont pu découvrir le fonctionnement du CMSI de Nancy et discuter lors d’une table ronde avec les fondateurs de la structure et des représentants du secteur hospitalier et de la médecine générale française.
S’étonnant de la différence de productivité entre les CMSI – le binôme médecin-infirmier voit 4,3 patients par heure – et les services d’urgence hospitaliers (1,3 patient par heure selon les guidelines), Sabine Stordeur, directrice générale du SPF Santé publique, s’interroge : cette différence s’explique-t-elle par la distance entre les structures de soins en France ? « La proximité de plusieurs services hospitaliers dotés de services d’urgence peut jouer sur l’offre de soins. À Bruxelles, il suffit de prendre le métro pour se rendre rapidement dans plusieurs services d’urgence… Ces services sont facilement accessibles. » Et de poser la question essentielle : est-ce aux autorités ou à des entrepreneurs privés de mettre sur pied une strate de soins intermédiaires entre la médecine de ville et les hôpitaux ?
Pour le Pr Chouihed, chef du service des urgences du CHRU de Nancy, une strate intermédiaire avec des médecins et des infirmiers de pratique avancée a démontré son utilité. « En tout cas, il ne faut plus augmenter le nombre de lits hospitaliers. Il faut réorganiser le système et augmenter le turn-over. »
Coercition ou prévention
Mickaël Daubie, directeur général du service soins de santé de l’Inami, interpelle les participants au voyage d’étude pour savoir si, en raison du contexte budgétaire des soins de santé, il ne faudrait pas être plus directif. « Peut-on encore se permettre de laisser le patient errer à sa guise dans le système sanitaire ou faut-il être plus directif pour mieux réguler la “consommation” de soins ? »
Pour David Larivière, directeur des hôpitaux d’Épinal, une solution pour éviter le « shopping médical » est de mieux financer la prévention et d’intéresser les acteurs de santé à des outils de prévention et de dépistage, plutôt que de miser massivement sur des systèmes qui financent uniquement la prise en charge de la maladie.
« Il est important d’informer les patients des solutions qui s’offrent à eux en fonction de leur pathologie. En le faisant de façon efficace et répétée, on devrait éviter les dysfonctionnements. Le patient ne vient pas aux urgences pour embêter les médecins ou consommer du soin, mais parce que le premier recours est le service d’urgence », analyse Loïc Libot, qui met en avant le rôle important des pharmaciens. « Nous travaillons énormément en direct avec eux : ils se retrouvent face à des problèmes de santé et nous appellent. Ils sont parfois le premier rempart face à l’absence d’une offre en médecine générale. Il vaut mieux essayer de faire du patient un partenaire plutôt que de miser sur la coercition. »
Il souligne que l’objectif des CMSI n’est pas d’évacuer l’urgence en donnant un simple diagnostic, mais d’aller le plus loin possible dans la prise en charge, puis de recommander ensuite, si nécessaire, d’autres prestataires de soins. « En réalité, lorsque le patient a compris que le CMSI ne fait pas de médecine générale et n’est pas un service d’urgence hospitalier, il vient pour le service spécifique que le CMSI lui propose et pour lequel il n’a pas de réponse ailleurs », commente Boris Hirtzig.
« Si on réfléchit à la manière dont on peut transposer le modèle du CMSI à la Belgique, on constate qu’il existe un besoin pour couvrir les demandes entre les urgences graves et les urgences de médecine générale. On pourrait aussi sortir tout le non-programmé de la médecine générale. Ce changement de modèle pourrait soulager les généralistes, aujourd’hui surchargés », commente Benoît Collin, administrateur général de l’Inami. « Un tel modèle demande de revoir l’ensemble des soins non programmés et la répartition géographique des soins. Que faire des services d’urgences qui n’ont plus suffisamment d’actes à réaliser pour justifier le maintien 24 h/24 d’une équipe ? À Waremme, où j’habite, il y a une à deux admissions par nuit dans un service d’urgences pourtant ouvert 24 h/24. Cette grande disponibilité coûte très cher. »
La bonne régulation
Se pose aussi la question de la lisibilité pour les patients de la gravité de leur état. « Les services d’urgences nous déclarent qu’ils ont moins de cas d’urgence intermédiaire (CCMU 2) parce que les patients ont été bien informés et qu’ils ne se présentent plus aux urgences hospitalières. Ils viennent directement dans un CMSI », soutient le Dr Libot. « Quand on prend le temps de donner la bonne information aux patients, cela fonctionne. Par ailleurs, lors de la régulation téléphonique des appels, le médecin-régulateur ne voit pas le patient. Je suis convaincu qu’il est préférable que ce médecin le voie, car à un moment il sera en échec en raison des limites du diagnostic téléphonique et il devra bien envoyer le patient chez un confrère. En réalité, on paye un médecin pour réguler et un médecin pour voir le patient. Tant qu’à payer un médecin avec un forfait horaire, autant que le prestataire voie le patient. »








