« La profession médicale est totalement subventionnée », affirme Vandenbroucke

Le ministre de la Santé et des Affaires sociales, Frank Vandenbroucke, a déclenché de vives réactions ce 10 octobre lors d’un débat organisé au Palais d’Egmont à Bruxelles par Medische Wereld, en collaboration avec la VUB et l’UZ Brussel. Devant un public principalement composé de médecins, il a affirmé que la médecine n’était « pas une profession libérale », mais « totalement subventionnée par la sécurité sociale et par les patients ».  Une déclaration qui a ravivé les tensions autour de la loi-cadre , des suppléments d’honoraires et de la rémunération des médecins.

Dans un débat animé entre des ténors des soins de santé et le ministre Frank Vandenbroucke, plusieurs déclarations fortes ont été faites et le public (en majorité des médecins) a parfois réagi avec émotion. Quelques sondages réalisés en salle y ont contribué. Le ton s’est durci un instant lors de la discussion sur le point de savoir si la profession de médecin est — ou non — une profession libérale.

Ce 10 octobre, le Dr Mark De Ridder (CEO de l’UZ Brussel), le Dr Johan Blanckaert (vice-président de l’ABSyM), Luc Van Gorp (président de la Mutualité chrétienne) et Margot Cloet (administratrice déléguée de Zorgnet-Icuro) ont croisé le fer avec le ministre  au sujet de l’avenir de notre système de santé. 

Pour donner l’entrain, un premier sondage en salle a mesuré l’attitude du public sur la position relative à la loi-cadre actuellement sur la table. Sans grande surprise, deux répondants sur trois (65,5 %) s’y sont déclarés opposés. Cela ressortait déjà de la grève des médecins du 7 juillet. Une autre question portait sur l’indexation du tarif de consultation : doit-elle être appliquée chaque année, en l’adaptant à l’inflation ? Neuf auditeurs sur dix ont répondu par l’affirmative.

Loi cadre et suppléments

S’appuyant sur le sentiment autour de la loi-cadre, Margot Cloet a estimé que la discussion s’était réduite à des passes d’armes au sujet des suppléments d’honoraires. Elle s’est concentrée sur une actualité récente : l’annonce de la fermeture de deux maternités en Flandre. « Nous devons changer le système, mais attention à ne pas le faire s’écraser », a-t-elle averti.

Le ministre a, pour sa part, martelé qu’il n’a toujours pas reçu d’explication sur les fortes différences de suppléments selon les hôpitaux. Une explication qu’il dit avoir demandée il y a quelque temps aux médecins, sans, selon lui, obtenir de réponse suffisante alors que ces données sont nécessaires à une réforme. « En ce qui concerne les suppléments, je n’ai jamais dit qu’il régnait une culture de la rapine. » Cette dernière déclaration a été accueillie par des rires dans la salle. « Tous les suppléments ne doivent pas passer à zéro pour moi, a nuancé Vandenbroucke, mais nous devons aller vers l’uniformité et la transparence. »

Des chiffres ont été apportés par Luc Van Gorp, sur la base des données du comité paritaire médecins-hôpitaux : « Nous avons autour de 700 millions d’euros de suppléments pour les hospitalisations classiques. 41 % sont reversés aux hôpitaux. Il reste ainsi 396 millions pour les médecins. Le problème, c’est que, dans certains hôpitaux, on reverse jusqu’à vingt fois plus que dans d’autres. Tant que nous n’aurons pas fait à fond cet exercice chiffré, comment mener un débat sur les suppléments ? »

Dans la foulée, il a reposé la question de ce qu’est une rémunération raisonnable pour un médecin, sujet sur lequel la MC a rendu un “avis éthique” qui, à l’époque, avait suscité de vives réactions. « Nous trouvions notre montant proposé très raisonnable. Nous voulons certainement que les médecins soient correctement payés, mais — et il a haussé la voix — je ne veux pas que cette discussion s’enlise dans des débats sur des excès. »

Le Dr Blanckaert a, de son côté, souligné que la réforme de la nomenclature est essentielle et que tous les éléments (tels que la structure des coûts) doivent être clairs avant la mise en place du nouveau système.

Les hôpitaux se trouvent à un point de bascule, estime pour sa part le Dr De Ridder : « À l’UZ Brussel, les suppléments représentent moins de 2 % de notre chiffre d’affaires, ce qui fait pourtant la différence entre piétiner sur place ou avancer ! Nous avons besoin de ces suppléments pour l’investissement, l’innovation, notre mission universitaire. »

Le modérateur a voulu savoir du ministre si le plafond de 25 % sur les suppléments avait été levé. Vandenbroucke a décrit un débat en plusieurs phases : « J’ai d’abord dit que cela se déciderait en 2028, pas demain. Ces 25 % étaient un chiffre de référence. J’ai ensuite indiqué que les médecins devaient négocier à ce sujet avec les mutualités et formuler, secteur par secteur, une proposition. Les suppléments peuvent fortement varier, y compris entre disciplines. Mais, avec un système tarifaire totalement nouveau fondé sur des honoraires “purs” pour le seul médecin, l’honoraire pur doit être l’axe central. D’ici la mi-2027, avons-nous finalement dit, ces parties négociatrices doivent venir avec des propositions. »

« Le contribuable paie le médecin »

Le modérateur a mis les pieds dans le plat en demandant au ministre si la médecine est encore une profession libérale. « Absolument pas », a-t-il tranché. « Elle est totalement subventionnée. Je vais paraître très désagréable, mais qu’on veuille bien l’intégrer : to-ta-le-ment sub-ven-tion-née par la sécurité sociale et par ce que paient les patients ! Mais avec cet argent, on travaille très dur et très bien. »

Cette déclaration a fait bondir Johan Blanckaert : « C’est tout à fait inexact. Lorsque nous voyons un patient, c’est le patient qui nous paie et qui est ensuite remboursé. La source, c’est le citoyen qui cède une partie de son salaire à la sécurité sociale. C’est un droit démocratique. »

À Vandenbroucke de monter d’un ton : « Mais la source dans laquelle vous puisez… » — « …vient du patient », a répliqué le Dr Blanckaert. « En effet, la source est mutualisée par les gens via les impôts, les cotisations, les tickets modérateurs, les suppléments », a précisé le ministre. « Heureusement, les médecins ne sont pas, de ce point de vue, comme les boulangers, les bouchers, les avocats ou les consultants qui ne sont pas financés par la sécurité sociale. Votre profession, magnifique, l’est, elle. Dès lors, si le contribuable paie déjà autant, pouvons-nous convenir de ce qui doit encore être payé en plus ? Nous subventionnons déjà tellement à la base. Si nous remboursions les avocats… » — « Les assurances le font bien », a lancé le Dr Blanckaert. « Oui, mais pas sur la base d’impôts obligatoires. Si nous remboursions les avocats, nous parlerions nous aussi de leurs barèmes d’honoraires. »

Médecine d’État

« N’allez-vous pas vers une médecine d’État si vous imposez des règles plus strictes ? », a interrogé le modérateur. « Cela n’a rien à voir avec la médecine d’État. J’y suis totalement opposé », a réagi Vandenbroucke avec force, suscitant une certaine hilarité dans la salle. « Il s’agit d’une profession libérale en ce sens que la liberté thérapeutique est essentielle. La majorité des médecins sont indépendants, et c’est très bien : ils travaillent sur la base de leurs propres choix. Mais le financement de ce système — 42 milliards que l’État oblige les citoyens à mettre, les yeux fermés, sur la table — en est la base. Ce que vous ajoutez par-dessus ne peut pas être sans fin. »

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Derniers commentaires

  • Francois Planchon

    16 octobre 2025

    Propos révoltants !
    Dans les pays où la sécurité sociale n'existe pas... les médecins sont aussi payés par leurs clients, qui sont évidemment aussi des contribuables ou des membres non actifs de leurs familles...
    Un garagiste, un plombier, sont payés par leurs clients... qui sont aussi des contribuables... et par une "omnium" quand on en a souscrit une !
    Les remboursements d'une assurance ne sont pas des "subventions" !
    Et il ne vient à personne l'idée de leur en faire la remarque "culpabilisante"...
    Notre ministre est un manipulateur malsain, obsédé par la volonté de tout contrôler unilatéralement !

    Notre société a organisé un mécanisme d'assurance collective, exactement comme une "omnium" automobile, qui établit une solidarité entre usagers vis à vis des sinistrés... pour obtenir un remboursement correct des soins et des médicaments ! Les assurances ne transforment pas pour autant les corps de métier qui réparent les dégâts en "fonctionnaires"...
    Et ce n'est pas parce qu'il y a maintenant de plus en plus de payements directs, ou de remboursements très rapides, évolution logique pour que les patients ne doivent pas tous "avancer" les honoraires, que le corps médical devient pour autant des fonctionnaires...
    Ajoutons que le payement 'direct", informatisé, diminue la charge administrative globale, et donc les coûts !
    L'époque des attestations à rentrer de soins exigeait des manipulations multiples, y compris pour les patients...
    Par contre, l'augmentation des contraintes imposées fait évidemment regretter à de plus en plus de prestataires le statut d'indépendant... et on entend souvent "râler" en déplorant qu'on a les même contraintes que des salariés, ou des fonctionnaires, sans en avoir les avantages...
    Depuis le début, des barèmes de remboursement sont régulièrement re-négociés, et de nombreux praticiens s'alignent sur ces barèmes quand ils couvrent correctement les actes accomplis !

    Notons au passage : depuis 2000, l'affiliation ne se fait plus sur base du statut de travailleur (ou de membre du ménage d'un travailleur) mais sur base de l'inscription au registre national (je suis à l'initiative de cette réforme suite à un congrès sur les exclusions sociales en 1999), mais cela ne change rien au remboursement des soins, si ce n'est que l'affiliation est plus simple et plus rapide, avec la suppression du stage de 6 mois... (je résume).
    Notons au passage que la mesure s'est auto-financée en permettant d'entamer les soins plus rapidement sans attendre la fin du stage, et que soigner plus rapidement revient à terme moins cher... L'INAMI n'a pas enregistré de coût global plus élevé suite à ce changement .
    Par contre, la simplification administrative des affiliations a permis de consacrer plus de temps au service rendu, et moins à des vérifications fastidieuses en jonglant avec des cotisations temporaires...
    Comme on dit : win-win...

    Par contre, sur un point, il a raison : les "suppléments" manquent de transparence et d'uniformité, quand on se fait hospitaliser... et la nécessité de disposer d'une chambre particulière, quand par exemple les proches travaillent pendant les heures de visites des chambres communes, ou dans le cas d'une personne au sommeil très léger, ne doit pas devenir impayable en plus du supplément hôtelier légitime...
    Les soins sont exactement les mêmes dans les 2 cas : il n'y a aucune raison de les "majorer", c'est même choquant en soi !

  • Gilbert BEJJANI

    16 octobre 2025

    D'un coté le Ministre a raison. La profession est subventionnée, mais si cela est vrai, alors il devrait etre tout aussi normal d'accepter que certains refusent ce subventionnement, ce qui se traduirait par une sortie du système de remboursement et alors le droit, comme toute profession libérale de pouvoir pratiquer et de fixer son tarif.
    Cette possibilité n'est pas tout à fait possible en Belgique, mais nous devrions aussi pouvoir apporter les mdoficiations législatives pour le permettre.
    Pour le subventionnement, des barèmes sont discutables mais on ne peut pas contraindre l'ensemble à etre dans ce système, inéquitable, peu transparent et qui n'évolue pas dans le bon sens.

  • Nathalie PANEPINTO

    13 octobre 2025

    Que se passerait-il si l'on supprimait le remboursement de certains soins par les mutuelles ?
    Quel a été l'effet de la suppression des primes à la rénovation sur le nombre de chantier ?
    La suppression et la réduction des primes régionales wallonnes ont un impact négatif majeur sur le secteur de la construction, entraînant une baisse significative de la demande de travaux de rénovation, l'annulation ou le report de projets par les ménages et des retards administratifs. Cela a des conséquences pour les entreprises, qui constatent une chute d'activité et craignent des faillites. Le secteur est aussi affecté par la suppression de certaines aides et la réduction des montants de base, rendant les travaux plus difficiles à financer pour les ménages.

  • Alexandre Sarafidis

    13 octobre 2025

    C’est le patient qui paie le médecin .
    Il se fait remboursé par les mutuelles .

    L’état avec les intervenants donnent le feu vert et fixe le montant de la consultation étatiste conventionnée .
    Les suppléments ne font l’objet d’aucun remboursement par l’état .
    Ils sont entièrement payé par le patient sans aucun remboursement par l’état et parfois remboursés par des assurances privés .
    Ceci chez les déconventionnés qui doivent rester libres de leur honoraires.

    En limitant les suppléments ( en réalité honoraire libre ) le ministre diminue les rentrées fiscales dans un momentum ou l’état est en déficit majeur .

    Ces revenus fiscaux pourraient naturellement diminuer le déficit et renforcer la sécurité sociale mais le dogmatisme du ministre l’aveuglerait ?

    Quid des autres partis qui cherchent des rentrées fiscales?

    Le ministre dit liberté diagnostique et thérapeutique !!!
    Même pour cela il y a au minimum contre vérité car avec les règles de plus en plus nombreuses d’encadrement la liberté diagnostique et thérapeutique s’est amenuisée et pourrait totalement disparaître

    Le remboursement et le prix de la convention est fixé par l’état et les médecins conventionnés y adhérent .
    Cela est un juste contrat .

    Peut être que le ministre préfère une absence de remboursement complet pour les déconventionnés et dans ce paradigme , il aggrave la médecine à plusieurs vitesse mais il n ose pas le dire …
    En tant que citoyen ( si j’était jeune )si je n ai pas le droit d’ être remboursé parce que je consulte un médecin déconventionné , je demanderais dans ce cas la possibilité de cotiser pour une sécurité sociale dans une assurance privé et pas la Secu étatique qui ne donnerait rien en retour !!!

    Peut être devrions nous demander une consultation démocratique après des débats contradictoires sur le projet du ministre .
    Un débat télévisé avec nos représentants, je ministre Vandenbtoeck et les autres chefs de parti est souhaitable .

  • Olivier DELAERE

    13 octobre 2025

    Profession libérale ?? "Absolument pas !!!!!!!!!" dixit VDB. Voilà le coeur du problème. Il ne faut JAMAIS céder sur ce principe. Le droit à la justice est aussi précieux que le droit à des soins de santé. Et ce n'est pas parce que les mutuelles les subsidient en partie, à la manière d'une assurance groupe lambda déguisée, financièrement opaque, et par dessus le marché en conflit d'intérêts avec l'ensemble du système, que l'on doit se faire dicter ses honoraires par des seconds rôles et renoncer au caractère libéral de sa profession.

  • Jacques MAIRESSE

    13 octobre 2025

    Il n'a pas tord! Les médecins ont depuis longtemps perdu leur liberté en quémandant des centimes d'augmentation aux ministres de tutelle!