Lors de la première réunion organisée à Louvain par le nouveau think tank flamand Vista Minds, un débat entre trois responsables politiques et cinq représentants du corps médical a mis en lumière plusieurs fractures du système de santé belge, autour du rôle des mutualités, de la liberté professionnelle des médecins et de l’innovation.
Les invitées politiques, Frieda Gijbels et Kathleen Depoorter (N-VA) ainsi qu’Irina De Knop (Open VLD), ont été amenées à préciser les mesures qu’elles prendraient si elles étaient ministres de la Santé.
Irina De Knop plaide pour l’autonomie et la transparence
Irina De Knop a détaillé une série de priorités : dépolitiser le modèle de concertation, alléger certaines règles, renforcer la responsabilisation financière des prestataires et accroître la transparence vis-à-vis des patients. Elle plaide surtout pour confier aux soignants l’autonomie sur l’ensemble du budget de la santé, afin d’en déterminer eux-mêmes l’affectation la plus efficace. « Cela leur donnerait la marge de manœuvre nécessaire pour fixer les priorités là où elles sont le plus utiles », a expliqué Irina De Knop, en rappelant que « ce sont les patients, pas les médecins, qui sont subventionnés ».
Frieda Gijbels réclame un audit des mutualités
Frieda Gijbels a appelé à une révision en profondeur du rôle, du financement et du fonctionnement des mutualités. Selon Frieda Gijbels, le milliard d’euros consacré à leurs frais de fonctionnement est utilisé sans transparence suffisante et leur mission doit être repensée. Elle dénonce la « double fonction perverse » des mutualités — banquier, contrôleur et assureur — et demande aussi une réévaluation de la couverture des médecines alternatives, jugée trop coûteuse.
Sur la question des suppléments d’honoraires, Frieda Gijbels affirme avoir contribué à préserver une fourchette de 20 % à 175 %, tout en estimant qu’une réforme de la nomenclature est indispensable avant toute limitation. « Comme dentiste et parodontologue, je ne peux pas travailler sans suppléments, car la nomenclature actuelle est totalement inadaptée », a-t-elle déclaré.
Kathleen Depoorter veut réduire la charge administrative
Pour Kathleen Depoorter, la priorité est de réduire la charge administrative. Kathleen Depoorter propose de modifier ou de supprimer l’article 15, § 2 (délivrance d’un document au patient) et l’article 35, § 4 de la loi sur l’assurance soins de santé (concernant l’évaluation de l’incapacité de travail), en les regroupant pour éliminer les répétitions. Kathleen Depoorter plaide également pour une transparence complète des coûts hospitaliers et une meilleure articulation entre soins intra- et extramuraux. Elle rappelle son intervention en faveur du maintien du remboursement extramural des injections d’Eylea, obtenue sur base de données chiffrées.
La liberté d’innover au cœur du débat
Les trois responsables politiques se rejoignent sur l’affirmation du médecin comme professionnel libre et entrepreneur, avec l’autonomie nécessaire pour innover. Elles rejettent l’idée que les praticiens seraient subventionnés par l’État, considérant que l’aide publique vise d’abord le patient.
Frieda Gijbels et Kathleen Depoorter disent s’être opposées au plafonnement des suppléments voulu par le gouvernement, en raison d’une nomenclature jugée obsolète. Irina De Knop estime que la réduction des suppléments porterait atteinte à la dynamique d’innovation : « Cela nous rapproche un peu plus de la médecine d’État ».
Un modèle extrahospitalier présenté par le Dr Kristoff Corten
L’exemple présenté par le Dr Kristoff Corten, orthopédiste, a illustré un modèle d’innovation et d’entrepreneuriat social en santé. Chaque année, environ 30 000 prothèses de hanche sont posées en Belgique pour un coût moyen de 8 000 euros par intervention, soit 240 millions d’euros au total.
Dans la clinique de la hanche du Dr Kristoff Corten, le patient verse 98 euros, bénéficie d’un examen complet et d’un accompagnement par application numérique. La prévention permettrait d’éviter l’opération pendant un à deux ans chez 36 % des patients, ce qui représente environ 60 millions d’euros d’économies annuelles. Pour les 64 % restants, opérés en dehors de l'hôpital, le coût pour l’assurance maladie serait inférieur d’environ 10 %, soit 9 millions d’euros d’économies supplémentaires. Au total, ce modèle atteindrait un potentiel d’économies proche de 69 millions d’euros par an.
Irina De Knop estime qu’un tel schéma peut contribuer à désengorger des hôpitaux en pénurie de personnel et propose une concertation structurée autour de quatre piliers : soins de première ligne, hôpitaux généraux, hôpitaux universitaires et soins extramuraux.
Repenser le rôle des mutualités
Frieda Gijbels et Kathleen Depoorter soulignent la nécessité d’un terrain de jeu équitable entre soins intra- et extramuraux et d’une objectivation des coûts dans la réforme de la nomenclature. Les trois responsables politiques convergent sur l’idée que le rôle des mutualités doit être redéfini. Frieda Gijbels critique leur transformation en organisations d’intérêts et cite la participation de Solidaris à une application de vidéoconsultation après la fin du remboursement des téléconsultations. Selon Frieda Gijbels, les mutualités s’opposent aux hausses de ticket modérateur parce qu’elles accélèrent l’atteinte de la facture maximale, dont elles doivent ensuite supporter le coût. Malgré les engagements gouvernementaux, Frieda Gijbels déplore l’absence de mesures concrètes pour limiter le pouvoir des mutualités.
Un système à la croisée des chemins
Le débat organisé à Louvain par le nouveau think tank flamand Vista Minds pose une question centrale pour la communauté médicale : qui doit piloter le système de santé ? Les mutualités, garantes de l’équilibre financier, ou les prestataires, porteurs de l’innovation et de la responsabilité clinique ? Entre transparence, autonomie et efficacité, la réponse conditionnera l’évolution du modèle belge de soins.
Lire aussi: Les médecins appellent la coalition Arizona à rompre avec la « médecine d’État »









Derniers commentaires
Jacques De Toeuf
24 octobre 2025Le texte de l'intervention de Mme Depoorter n'est pas correct.
1. L'art 15 § 2 n'existe pas dans la loi INAMI. Les médecins font la même erreur. Il s'agit de l'art 15 § 2 de la nomenclature qui interdit de réaliser les prestations chirurgicales > K120 ou N200 en dehors de l'hôpital (sauf l'ophtalmo) et donc empêche le développement de la chirurgie extramuros. Rien à voir avec la délivrance d'un document.
2. L'art 35 § 4 de la loi INAMI n'a rien à voir avec l'incapacité de travail, mais dit que tous les frais directs et indirects liés à l'acte sont couverts par l'honoraire de cet acte, sauf exceptions prévues par la loi. La discrimination à l'encontre de la médecine extramuros est dès lors évidente: les frais de production y sont à charge de l'honoraire alors que dans l'hôpital, les frais de ces mêmes prestations sont couverts en tout ou en partie par les forfaits de convention (ambulatoire et hôpital de jour médical) ou par le budget des moyens financiers de l'hôpital. C'est là l'obstacle majeur au déploiement de l'extramuros.
Yves Lefebvre
17 octobre 2025Les diverses activités des mutuelles ( assureurs, propriétaires d’ hôpitaux ,dispensateurs de soins…) devraient être scindées en des entités séparées qui devraient , comme toutes entreprises , rendre un bilan comptable chaque année.
Ce serait beaucoup moins opaque que la situation actuelle.
Francine KERSTEN
16 octobre 2025Enfin!!!!.... s'intéresser aux "avoirs" des mutuelles et pourquoi pas des syndicats !!!!