Aujourd’hui, le burn-out semble pouvoir frapper partout : enseignants, informaticiens, soignants. Mais, pour les médecins, il s’agit d’un phénomène fondamentalement différent. C’est ce qu’affirme le médecin et consultant américain le Dr Ryan C. Neal, qui invite à abandonner le modèle classique du burn-out lorsqu’il est question des praticiens. La charge qui pèse sur leurs épaules est non seulement plus lourde, mais aussi d’une tout autre nature.
Un médecin n’investit pas seulement du temps ou de l’expertise au cours d’une consultation. « Chaque relation avec un patient est un processus intense de présence, d’empathie et d’engagement moral. Et cela demande une énergie qui ne se reconstitue pas avec une bonne nuit de sommeil ou un simple week-end de repos. Car, même si la journée de travail s’achève officiellement, le soin, lui, ne s’arrête pas. Les décisions continuent de résonner et les responsabilités demeurent », explique le Dr Ryan C. Neal.
Dans d’autres secteurs, les erreurs se traduisent le plus souvent par des conséquences financières ou pratiques. En médecine, beaucoup plus est en jeu : une mauvaise évaluation peut avoir des répercussions à vie, voire être fatale. Cette conscience pèse sur les épaules du médecin et érode progressivement le sens même de son activité. Ce qui, au départ, relevait d’une vocation, se trouve lentement rongé par la pression permanente et la menace constante d’erreurs irréversibles.
Le prix d’une vocation
Ce qui complique encore la situation, souligne le Dr Ryan C. Neal, c’est que nombre de médecins considèrent leur métier non comme un emploi, mais comme une vocation. « C’est précisément cet engagement profond qui rend difficile la fixation de limites. Les médecins se sentent indispensables, et poursuivent souvent leur activité alors qu’ils sont déjà à bout de forces. La responsabilité envers le patient prime sur leur propre bien-être. »
De ce fait, ajoute-t-il, les médecins ne sont pas seulement épuisés physiquement ou émotionnellement, ils sont aussi atteints plus profondément. « Ils se heurtent à un système qui les empêche de plus en plus de réaliser leur vocation initiale. Cela devient une source de tension lorsque l’on souhaite soigner, être proche, accompagner, mais que l’on est enfermé dans un carcan administratif et soumis à des objectifs imposés. Ce qui en découle n’est pas une simple fatigue, mais une désillusion existentielle qui peut marquer durablement. »
Les critères classiques du burn-out — épuisement émotionnel, dépersonnalisation, sentiment de perte de compétence — ne suffisent pas, selon le Dr Ryan C. Neal, à comprendre ce qui se joue réellement chez les médecins. Il insiste sur trois dimensions supplémentaires, souvent occultées.
« Il y a d’abord le traumatisme moral, qui naît lorsque l’on sent que l’on ne peut pas offrir aux patients ce dont ils ont véritablement besoin, parce que le système impose ses contraintes. Vient ensuite ce que j’appelle l’érosion spirituelle : la perte progressive de confiance dans sa propre profession. »
« Enfin, il y a l’épuisement énergétique : une forme de vide profond que ni des vacances, ni un programme de pleine conscience ne peuvent combler. Il ne s’agit pas de résilience. Il s’agit de blessures morales infligées dans un système qui exige trop et restitue trop peu. »
La reconstruction d’une identité
La guérison, dans ce contexte, ne passe pas seulement par le repos. Pour beaucoup de médecins, elle exige une réorientation complète. Car dépasser ses limites revient aussi à devoir reconstruire son identité professionnelle. Nombre d’entre eux ne sont pas seulement médecins par métier : ils le sont au plus profond d’eux-mêmes. Leur pratique est si intimement liée à leur être que renoncer revient à perdre une partie de soi.
Le Dr Ryan C. Neal résume sans détour : « Les médecins ne s’épuisent pas parce qu’ils sont faibles, mais parce qu’ils tiennent énormément à leur travail et sont prisonniers d’une structure qui vide leur vocation de sa substance. » Une réponse superficielle n’apporterait donc aucune solution. « Ce dont les médecins ont besoin, c’est d’une reconnaissance de la charge spécifique qu’ils supportent, et d’un soutien adapté à la réalité de leur profession. C’est à cette condition qu’ils pourront éviter de s’épuiser. »
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Derniers commentaires
Philippe NOEL
02 octobre 2025Très bonne analyse du fonctionnement existentiel et du risque spécifique de ce métier de compassion . A défaut de celle-ci, nous devenons des outils désincarnés de soin, s’adressant à des patients réduits à n’être que des objets du soin . Mais cette compassion comporte le risque qui est décrit, accentué par les contraintes qui nous sont imposées .
Est-il possible de n’être médecin compassionnel que part-time ? J’en doute un peu . Une juste et bien comprise « désappropriation » peut être une protection, qui veut que le soignant ne « s’approprie » pas entièrement le soin et son résultat . Le service rendu devient plus important que celui, qui le rend . Il ne s’agit pas ici de désincarnation mais de distance thérapeutique ajustée . Facile à dire, moins à faire, mais un peu de grain à moudre ?
DR Philippe NOEL, médecin de famille retraité .
Xavier Hardy
02 octobre 2025Oui, un burn-out, quoi.