Contingentement médical : sortons du paradigme Nord/Sud  (Dr Quentin Lamelyn)

Certains moments de l’année sont propices à des sorties de presse que j’appellerai chroniques.
Vous savez, ces fameux articles bateau qui rappellent de bien s’hydrater en période de canicule, les bonnes astuces mémoire pour optimiser son blocus, etc
La presse médicale n’échappe pas à la règle et régulièrement on voit fleurir ça et là les avis plus ou moins éclairés de confrères sur des sujets médicaux “touchy” comme par exemple la sélection dans les études de médecine.
C’est donc avec une certaine lassitude que j’ai pu lire cette semaine la réaction de notre honoré confrère Marc Moens, accusant une fois de plus les wallons de ne pas jouer le jeu en termes de sélection. Un refrain bien connu, qui manque hélas de nuance et bien que je respecte le Dr Moens qui reste pour moi un puit de science en termes de syndicalisme, je désapprouve totalement son point de vue sur le contingentement.

Mon expérience de terrain en tant qu’ex-président du syndicat des étudiants en médecine et aujourd’hui en tant que médecin dans le Hainaut ainsi que mes différents échanges avec des confrères de toute la Belgique me permettent de porter un regard bien plus aiguisé sur la question.
L’analyse du Dr Moens, partagée par de nombreux médecins, surtout au Nord du pays, n’est pas totalement inexacte compte-tenue des données prises en entrée. Mais ces données, sont-elles valables ? Sont-elles exhaustives ? D’autres éléments ne méritent-ils pas d’être incorporés à la réflexion ? 

 Je salue au passage mon ami le Dr Briganti qui n’a pas manqué de rappeler l’importance du concept d’équivalents temps-plein qui apportent une nuance indispensable à l’évaluation de la force médicale. D’ailleurs, cet argument à lui seul remet en question le raisonnement universellement proposé par le Nord du pays qui tire avantage de la situation.
Mais il y a un point crucial qu’on oublie bien souvent de citer, c’est bien entendu la différence de case-mix. Si nous affinons l’analyse en sortant de la logique bien trop simpliste de Flandre versus Wallonie et qu’on pousse l’inférence d’une part par province mais également par bassin de soin, on se rend compte que la situation de terrain est extrêmement hétérogène.
Le Hainaut, qui est la région la plus peuplée de Wallonie, a une patientèle extrêmement lourde.
Dans la région de Mons par exemple, nous avons par rapport à Bruxelles et ses CHU 2 à 3% de plus de patients en index de sévérité 4 qui est la sévérité maximum, reflet de patients en mauvaise santé, polypathologiques, lourds, avec de longs séjours hospitaliers et nécessitant de nombreux soins.
D’ailleurs, rappelons que l’espérance de vie dans le Hainaut est inférieure de presque 3 ans à la Flandre et même à la moyenne des pays de l’OCDE. 

Obésité, tabagisme, alcoolisme sont autant de comorbidités dont la prévalence est plus importante ici qu’ailleurs, d’ailleurs la Belgique peut se targuer d’être dans le top 5 mondial des pays avec le plus grand nombre d’obèses (1 Belge sur 2 est en surpoids) et cet indicateur est encore une fois non homogène au sein de la Belgique.

Pourtant, il s’agit là de problèmes de santé publique majeurs dont la résolution passe avant tout par une approche préventive. Un des acteurs principaux de cette prévention n’est autre que le médecin et pas seulement le médecin généraliste même s’ils en sont la pierre angulaire.
Comment voulez-vous réaliser de la prévention primaire et secondaire de qualité quand vous travaillez manifestement en sous-effectif et que vous êtes obligés d’expédier vos consultations pour pouvoir soigner tout le monde sans travailler 20h par jour ?

Appliquer la sélection proposée par des individus qui n’ont apparemment pas les pieds sur le terrain est suicidaire pour certains bassins de soin et c’est un très mauvais calcul économique puisqu’il y a abondance d’articles scientifiques qui appuient l’importance de la prévention dans le contrôle des coûts en soins de santé. 

J’aimerai également qu’on m’explique pourquoi l’exploitation des candidats spécialistes continue à aller à vau l'eau dans certains hôpitaux alors qu’il y est censé y avoir pléthore de médecins depuis de nombreuses années.
Bien sûr, on sait que certaines disciplines organisent une pseudo-pénurie afin d’être moins nombreux à se partager la part du gâteau, une pratique scandaleuse qui découle directement du mode de financement obsolète de la médecine devenue expéditive et ne valorisant absolument pas la pratique consciencieuse, humaine et l’acte intellectuel.
Cependant, la charge horaire de certains PG témoigne très largement du besoin en médecins, le pillage de médecins étrangers payés au lance-pierre étant un autre indicateur explicite.
D’ailleurs, en parlant de charge horaire des PG, il apparait qu’elle est loin d’être la même entre Flamands et Wallons, les divergences d’opinion peuvent également s’expliquer par cette différence significative.

J’aimerai donc qu’à l’avenir la problématique du contingentement fédéral soit abordée avec pragmatisme, qu’on sorte du paradigme actuel, de ses croyances “culturelles” et qu’on tienne compte de tous les éléments factuels dont on dispose. Un patient de Saint-Ghislain a tout autant le droit de jouir des mêmes soins que le patient de Leuven. Obliger les médecins à prester là où ils n’ont pas envie n’est pas une solution envisageable, et c’est déplacer le problème. Le contingentement fédéral est un échec, il n’a jamais été le reflet des besoins réels puisque se basant sur des données tronquées dont les interprétations ont été souvent biaisées. Aujourd’hui, il est plus que temps de mettre le passé de côté et de dégager des pistes de solution pour le long terme. Une refonte audacieuse de tout le système est plus que nécessaire si on désir à l’avenir garder le contrôle de nos dépenses en soins de santé sans sombrer dans la médecine à deux vitesses et conserver un des fleurons de la Belgique.

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.