Le Budget des Moyens Financiers (BMF) des hôpitaux est devenu un système d’une complexité telle qu’il en perd sa raison d’être, estime l’expert en gestion hospitalière Stéphane Rillaerts. Dans cette tribune, il plaide pour une refonte progressive et pragmatique du BMF, préalable indispensable à la future réforme du financement à la pathologie.
Tous les gestionnaires hospitaliers le savent trop bien : le Budget des Moyens Financiers des hôpitaux est devenu un immense labyrinthe, plus surréaliste qu’une toile de René Magritte. Destiné à l’origine à financer les hôpitaux par fonctionnalité (administration, cuisine, lingerie, soins infirmiers, officine pharmaceutique, etc.), les ajouts et modifications qu’il a subis depuis quarante ans en ont fait un fatras de règles devenues peu à peu incompréhensibles, et donc de plus en plus injustes, pour répartir entre tous les hôpitaux du pays un budget total (en principe) fixé a priori.
L’explication du calcul de chacune des trois sous-parties A et des neuf sous-parties B requiert des dizaines d’heures de cours dans les formations spécialisées et n’est en fait plus accessible qu’à une poignée de super-spécialistes. À croire que la complexité y devient un but en soi : chaque nouvel ajout d’un budget à la sous-partie B4 ou B9 commence par le diviser en deux ou trois, à attribuer une partie sur la base d’une classification en déciles de trois critères pris dans des pondérations absconses, l’autre moitié étant répartie selon d’autres paramètres d’une tout autre nature… Il ne manque que l’âge du capitaine ! Et on modifie le calcul régulièrement, rarement pour le simplifier. Les révisions des BMF passés, qui peuvent donner lieu à des corrections a posteriori (les « rattrapages »), sont de plus en plus longues à venir. Elles rendent les comptes des hôpitaux très imprécis, les rattrapages devant être estimés dans la comptabilité sur la base d’éléments peu sûrs. Il n’est pas rare qu’un exercice comptable approuvé comme déficitaire par un conseil d’administration s’avère en réalité bénéficiaire plusieurs années plus tard, quand la révision du BMF a été faite… ou l’inverse !
Le grand oublié
Dans la réforme du financement mise en chantier sous la précédente législature, le BMF semble être le grand oublié. En général, lorsque l’on évoque l’urgente nécessité d’une réforme du BMF, on s’entend dire qu’il ne vaut pas la peine de passer du temps à réformer un système devenu irréformable, puisqu’on va de toute façon l’abandonner prochainement pour passer au financement à la pathologie. Grave erreur : d’abord, parce que le « prochainement » en matière de financement des hôpitaux renvoie en général à plusieurs années (voire plus) ; ensuite, parce qu’il est illusoire de penser qu’on va transformer le financement des hôpitaux en faisant table rase du passé.
La réforme des honoraires nous le montre : pour parvenir à inclure la part prélevée par les hôpitaux sur les honoraires médicaux sans ébranler tout le secteur, il a été nécessaire de procéder d’abord à une actualisation drastique de la nomenclature, en réintroduisant des critères objectifs pour déterminer une valeur légitime des honoraires liés aux actes médicaux pratiqués. Cette actualisation est toujours en cours, et on n’échappera pas à la mise en place d’une phase de transition garantissant qu’aucune spécialité médicale ne soit objectivement lésée par la réforme.
Pour le BMF, c’est la même chose : on n’inventera pas des forfaits par pathologie sans tenir compte de l’impact que leur mise en œuvre aura sur les budgets actuels des hôpitaux. De plus, de nombreux éléments du BMF ne pourront pas être inclus dans ces forfaits : le financement des infrastructures, certaines fonctions structurelles (médecin-chef, hygiéniste, médiateur, médecins en formation, etc.). Une refonte du BMF, qui préparerait les éléments à intégrer dans les futurs forfaits et ceux qui doivent continuer à être financés en dehors (tout en simplifiant drastiquement leur mode de calcul), constitue un travail préalable indispensable. Paradoxalement, il est plus aisé que la modernisation de la nomenclature, car pour celle-ci, il faut vérifier l’impact potentiel pour chaque prestataire de chaque spécialité, alors que pour le BMF, il faut avant tout s’assurer que globalement aucun hôpital ne soit lésé dans le montant total qu’il perçoit.
Simulation
On peut donc imaginer de créer une simulation qui réaffecterait chaque ligne du BMF en fonction de trois types de critères : les infrastructures hospitalières, qui doivent continuer à être financées sur la base de coûts réels ; les fonctions qui sont liées à la structure de l’hôpital parce que sans rapport avec les soins ; et les fonctions qui peuvent être reliées à une activité justifiée, dont le financement à terme pourra être inclus dans un forfait par pathologie. On pourrait assez facilement créer une table de correspondance entre les éléments du BMF actuel de chaque hôpital et une nouvelle division du budget fédéral selon ces trois critères. L’attribution des budgets a priori se ferait sur la base de calculs beaucoup plus simples et compréhensibles par tous. On vérifierait alors que, tous éléments confondus, le total du montant attribué par le nouveau système ne différerait pas trop du montant attribué par le système actuel : peu importe qu’un hôpital perde sur un critère s’il gagne sur un autre.
Une telle simulation opérée sur deux ou trois exercices devrait permettre d’ajuster les montants et les modes de calcul de manière à garantir un écart acceptable pour chaque hôpital. On passerait alors au nouveau mode de calcul lorsqu’il aura été démontré qu’il ne déstabiliserait pas le secteur. S’il faut attendre la mise en vigueur de la nouvelle nomenclature pour commencer ces simulations, on perdra à nouveau plusieurs années. Alors pourquoi ne pas commencer maintenant ?








