Les virologues ... (Ivo Uyttendaele)

Psychiatre à la retraite et ex-vice-président du Conseil National de l’Ordre des Médecins, le Dr Ivo Uyttendaele évoque de sa plume bien trempée notre gestion de la crise du coronavirus et en particulier le rôle des virologues.

Un pic des naissances vers le Nouvel An sous l’effet des mesures mises en place contre le coronavirus serait une catastrophe pour ceux et celles qui attribuent tous les maux de la Terre à la prolifération incontrôlée de l’espèce humaine. Durex a proposé à Koen Geens de profiter de la distribution de filtres pour munir également ces messieurs d’une réserve de préservatifs, mais le ministre a préféré refiler la patate chaude à son collègue Philippe De Backer. Celui-ci s’est aussitôt retranché derrière Wouter Beke, qui a à son tour déclaré qu’il voulait d’abord lancer un appel d’offres. Vu qu’aucun virologue n’a été consulté, il s’agit probablement d’une fake news.

Lorsque le monde politique – avec un gouvernement comptant plus de médecins que jamais, y compris à la Santé publique – a vu ce qui se passait en Italie, il a immédiatement mobilisé ses fidèles épidémiologistes et virologues. Il a ajouté foi à leurs propos et, en échange, les scientifiques ont expliqué au bon peuple combien la politique de ses décideurs était sage. Pour excuser le manque de masques, ils ont même trouvé l’argument hilarant que, mal utilisés, ces dispositifs peuvent en réalité être dangereux, un peu comme si des écouvillons fournis avec une mauvaise notice devaient être retirés du marché.

Nous n’avons sans doute que bien rarement été confrontés à une situation qui illustre aussi parfaitement le constat que la science n’est finalement guère qu’une opinion. Il est particulièrement frappant de voir les journalistes tomber de leur chaise lorsqu’un expert leur affirme que le fait de changer de discours du jour au lendemain est le propre de la science et le reflet d’une évolution de notre vision dans ce domaine. Cette position ne peut évidemment que miner la confiance des citoyens qui croyaient encore que la science est là pour trouver la vérité, et qui découvrent aujourd’hui qu’elle n’est en réalité qu’une méthode et que c’est à eux qu’incombe cette quête du vrai.

Il est clair que nos sages sont encore loin de tout savoir sur le Sars-CoV-2, ce qui soulève la question essentielle de savoir si une confiance aveugle reste possible après toutes les gaffes qui ont été commises jusqu’ici. Comme le disent si bien nos amis d’outre-Manche, A little knowledge is a dangerous thing. Parmi les bourdes les plus flagrantes des scientifiques, on peut citer leur conviction que le virus n’arriverait jamais jusqu’en Europe et leur silence sur le fait que ce n’était finalement qu’un pari, tout comme l’affirmation faite aux fêtards du carnaval qu’il n’y avait aucun risque de contamination en l’absence de symptômes. Les mêmes ont pourtant décidé qu’il n’était pas question d’aller passer le weekend dans sa résidence secondaire pour ne pas devoir se rendre chez un boulanger différent – comme si nous ne le faisions pas déjà à la maison lorsque notre Colruyt ou Delhaize est fermé ! De la folie furieuse, estiment nos voisins néerlandais. Restez confinés, le mal est peut-être contagieux, rétorquent nos virologues.

Les règles absurdes et leurs conséquences désastreuses ouvrent peu à peu les yeux de la collectivité, qui commence à prendre conscience que les virologues sont de vrais spécialistes médicaux, qui n’ont de cesse d’exhiber leurs connaissances, qui ne remarquent pas leurs propres limitations tant leur vision est étriquée et qui prédisent des décès en masse si on refuse de les écouter. Il est particulièrement embarrassant de les voir se poser en défenseurs des soins de santé dans le débat avec les économistes, dont plus aucun n’ose calculer le coût de la mise à plat des soins ordinaires en vies et en souffrances humaines.

Le propre de leur discipline est qu’ils réduisent l’homme à un simple modèle biomédical qui doit leur permettre de démontrer, chiffres et statistiques à l’appui, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes – comme si l’homme n’était pas un être biopsychosocial, comme si une mort digne et une vie de qualité n’étaient pas de vraies valeurs, comme si sacrifier nos contacts sociaux ne nous touchait pas jusqu’au tréfonds de notre être, comme si refuser à nos élèves et étudiants six mois d’enseignement ne mettait pas à mal leurs possibilités futures, comme si des mois de chômage et la pauvreté qui en découlent n’avaient pas d’impact durable sur la santé et le bien-être de pans entiers de notre société.

Soit. On ne peut pas attendre des virologues qu’ils ajustent leur vision de l’homme et le gouvernement a eu raison de les mobiliser. Il aurait toutefois fallu prendre immédiatement conscience que ceci engendrerait un sérieux souci, puisque les solutions des virologues allaient inévitablement, et à très court terme, devenir elles-mêmes une grande partie du problème.

Pour y remédier, l’Allemagne a très rapidement fait le choix de constituer un groupe de 26 experts comprenant, pour faire contrepoids à la position des virologues, des philosophes, des historiens des sciences, des experts en communication, des spécialistes du comportement et des juristes qui ont commencé dès les premiers stades de la pandémie à plancher sur un équilibre entre limitation des droits fondamentaux et sécurité (NRC 2-3 mai OD p 5). Les préservatifs aussi pourraient y contribuer, si ce n’est que le covid-19 n’est pas le sida.

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Derniers commentaires

  • Charles KARIGER

    26 mai 2020

    Erreurs, erreurs et encore des erreurs.
    Le SARS-COV-2 est un virus. Prendre l'avis des virologues à son propos était et reste justifié.
    Le CoVid-19 (oui, "le") est une maladie. L'avis des infectiologues est indispensable à ce propos.
    Le CoVid-19 est aussi une pandémie. L'avis des épidémiologistes l'est donc également.
    Le CoVid-19 rend les gens malades. Ils nécessitent des soins. L'avis des médecins "thérapeutes" aussi.
    Et ce n'est pas tout. Biologistes, infirmiers, logisticiens...
    Malheureusement, "Le Peuple", ses journalistes et ses représentants ont l'obsession DU "savant" unique auquel on pose brutalement des questions qui le sortent de son domaine de compétence. Rares sont ceux qui ont le réflexe de décliner refermement l'offre et d'orienter vers d'autres compétences ou d'exiger de n'être interrogé qu'en compagnie des autres "sachants".

  • Harry DORCHY

    26 mai 2020

    Clair, intelligent et concis avec une pointe d’ironie …
    Felix qui potuit rerum cognoscere causas !

  • Nicole BRUNEAU

    26 mai 2020

    Critiquer tout et tous,attiser les haines...Est .ce constructif ?