«Cholestérol: le grand bluff» : des sociétés scientifiques et des associations de patients réagissent

Une récente émission de la chaîne ARTE titrée «Cholestérol: le grand bluff» remettait en question un des piliers les plus solides de la prévention cardiovasculaire: le rôle du cholestérol dans le développement des maladies cardiovasculaires et l’intérêt des médicaments hypocholestérolémiants pour prévenir ces maladies. Une telle émission risque de mettre en danger de nombreux patients qui arrêteraient leur indispensable traitement. Face à cette désinformation, pour protéger les patients, les sociétés scientifiques et les associations de patients concernés par cette problématique se sont jointes pour réagir en publiant dans diverses revues cet article adressé au grand public et visant à restaurer la vérité et revenir à plus de bon sens. En tant que représentant de ces sociétés et associations, nous sommes disponibles pour toutes questions de la presse ou du public sur le sujet.

Introduction

La chaîne ARTE a rediffusé en décembre un documentaire intitulé «Cholestérol : le grand bluff», émission pour le moins surprenante remettant en cause une des théories scientifiques les mieux démontrées en médecine préventive. En bref, l’émission développe les thèses suivantes:

1. Pas de relation entre taux de cholestérol sanguin et maladies cardiovasculaires
2. Pas de bénéfice (et même danger) à prendre des médicaments qui réduisent ces taux (par exemple, les statines).

Les arguments pour convaincre de ces propositions n’ont rien de scientifique et sont développés sur le ton passionnel d’une enquête à scandale visant à montrer que la théorie du cholestérol et de l’efficacité des statines n’est qu’un mythe inventé et orchestré par le lobbying pharmaceutique. En bref, selon ce documentaire, tous les messages à propos du risque de l’excès de cholestérol et de son traitement ne sont que des mensonges répétés par les médecins trop crédules et renforcés par les chercheurs corrompus. Au final, le message qui peut être compris par le téléspectateur est de ne pas suivre les recommandations médicales, mais plutôt d’interrompre les traitements qui visent à réduire les taux sanguins de cholestérol et de cesser de les faire évaluer par leur médecin.

La Ligue Cardiologique Belge (LCB/BCL, ASBL), l’Association Belge des Patients souffrant d’Hypercholestérolémie Familiale (Belchol, ASBL), l’Association Belge du Diabète (ABD, ASBL) et les Sociétés Scientifiques Belges d’Athérosclérose (SBA/BLC, ASBL) et de Cardiologie (SBC, ASBL) s’étaient déjà indignées lors de la première diffusion de cette émission en 2016 et avaient envoyé alors une lettre à la direction d’ARTE ([i]). Malgré cela, ARTE l’a rediffusée, enfreignant encore ainsi un certain nombre de principes éthiques: le respect de la vérité, le respect de la vie (en mettant en danger de nombreux patients), le respect de l’autonomie de chacun et enfin le respect des professions médicales et scientifiques.

Dans cet article, nous démontrerons en quoi «la théorie du cholestérol» est actuellement l’une des mieux soutenues en médecine préventive, en quoi les statines sont des médicaments efficaces et sûrs et en quoi de tels documentaires induisent un danger pour la santé publique.

Preuve de la «théorie du cholestérol»

Il est maintenant établi qu'il n'y a pas seulement un lien entre le cholestérol LDL et les maladies cardiovasculaires, mais en fait que le cholestérol LDL (ou plutôt les particules ou lipoprotéines LDL) est un facteur causal bien éprouvé de l'athérosclérose.

D’innombrables publications dans des revues internationales ont examiné et confirmé ce lien causal. Tout d’abord, de nombreuses données d’observations épidémiologiques humaines (incluant 403,501 individus, suivis en moyenne 12 ans) et leurs méta-analyses montrent le lien très fort entre des taux élevés de cholestérol LDL et l’incidence des maladies cardiovasculaires. Ensuite de nombreuses études d’interventions (portant sur 196,552 participants, suivis 5 ans) et leurs méta-analyses ([ii]) montrent que la réduction du cholestérol LDL sous l’effet d’une statine éventuellement combinée à un autre médicament résulte en une réduction bénéfique proportionnelle du risque de maladies cardiovasculaires, même pour des valeurs extrêmement basses de cholestérol LDL: chaque fois que l’on réduit le cholestérol LDL de 40mg/dl, on assure une réduction de 20% du risque de survenue d’événements vasculaires majeurs.

Enfin les données des modèles génétiques d’hypercholestérolémies tels que celui de l’hypercholestérolémie familiale (HF), une maladie génétique causée par des mutations dans des gènes impliqués dans l'élimination des LDL de la circulation et présente chez 25,000 belges sous sa forme courante, montrent le caractère dangereux de porter des taux très élevés de cholestérol LDL depuis la naissance. Par ailleurs, d’immenses études de population (194.427 individus suivis 52 ans) portant des variants génétiques, plus fréquents mais moins graves que dans l’HF (sur des gènes impliqués dans la production, l’absorption et l’élimination du cholestérol) montrent que les petites variations de cholestérol LDL (par exemple 11mg/dl) depuis la naissance produites par ces variants suffisent à réduire de manière significative le risque d’événements cardiovasculaires tout au long de la vie (dans notre exemple, de 20%).

Ainsi donc, tous ces faits accumulés sur l’analyse des effets du cholestérol sur la santé de plus de 800.000 individus convergent vers l’idée qu’il existe bien un lien de causalité solide, éprouvé et donc avéré entre le cholestérol LDL et le risque de maladie cardiovasculaire et que réduire ce taux est efficace pour réduire le risque de maladie cardiovasculaire de manière significative.

Preuve du faible risque des statines

La fréquence des effets secondaires est un sujet qui a soulevé, à tort, pas mal de controverses également ([iii]). Comme tout médicament (ou aliment ou même toute activité humaine) il y a, à côté des bénéfices indéniables, un risque d’effets secondaires. Mais pour les médicaments qui réduisent le cholestérol, ces risques sont peu fréquents, peu importants, réversibles après arrêt ou changement du traitement ou facilement traitables.

Ainsi, selon les dernières estimations, plus réalistes que celui des publications tapageuses d’il y a quelques années, le nombre d’effets secondaires significatifs et objectivables a été fortement revu à la baisse. On peut estimer que le traitement de 10.000 patients pendant 5 ans avec une statine telle qu’atorvastatine 40mg par jour pourrait causer 5 cas de myopathie (un désordre musculaire important) et 50 cas de diabète. Tout cela doit encore être relativisé et surtout balancé avec les bénéfices sur le plan cardiovasculaire. En effet, ce même traitement, suivi pendant ces 5 ans par 10.000 patients dont le risque est estimé élevé (en raison de leur facteur de risque) permettrait d’éviter ces complications cardiovasculaires chez 800 patients d’entre eux; bénéfice qui peut encore s’accroitre par l’utilisation plus prolongée de ce traitement.

Il faut aussi comprendre que ces myopathies et diabètes induits par les statines ne surviennent pas par hasard. Les myopathies, dans bon nombre de cas sont prévisibles car elles affectent les patients âgés, polymédiqués (avec des risques d’interactions médicamenteuses), souffrant de problèmes rénaux ou hépatiques, appartenant à certaines ethnies (les Asiatiques). Les personnes qui deviennent diabétiques sous ce traitement affichaient aussi des facteurs prédisposant au diabète avant le traitement (obésité, antécédents familiaux de diabète, glycémie élevée au départ, etc.) et auraient développé leur diabète même si elles n’avaient pas pris de statine. Il faut bien préciser aussi de quel «diabète» on parle. Il ne s’agit pas d’un diabète qui soudainement doit requérir d’utiliser des injections d’insuline, mais bien un état qui nécessite de rééquilibrer l’alimentation, ce qui suffit à corriger et même faire disparaître ce diabète.  

Ainsi, 800 patients en bénéficient et moins de 60 peuvent avoir des effets secondaires, significatifs mais réversibles sans aucun effet résiduel, après l’arrêt (ou la réduction des doses ou le changement) de la statine ou par corrections de quelques facteurs, alors que les complications cardiovasculaires du cholestérol sont irréversibles, voire fatales.

Néfastes conséquences de ces émissions

Le risque d’une telle émission est qu’elle affecte la crédibilité de la recherche scientifique et du monde médical. Sans compter les pertes de temps et d’énergie que le médecin devra consacrer pour rassurer les patients sur leurs médications. Non seulement ce temps et cette énergie auraient pu être mis à profit pour d’autres choses plus importantes, mais à force de frustration, la motivation même du médecin à s’investir dans la prévention des maladies risque de s’affaiblir. Mais surtout, le risque est que certains patients arrêtent définitivement leurs médicaments avec les conséquences dramatiques sur la santé publique. Celles-ci ont d’ailleurs déjà été évaluées, car ce n'est pas la première fois qu’un tel phénomène se produit. Ainsi, en France, un groupe de chercheurs avaient étudié les conséquences de la controverse initiée par le livre du docteur Philippe Even et Debré publié en février 2013 ([iv]). Suite à la sortie du livre, Ils ont observé, sur base des données des assurances maladie une augmentation importante de 40% de la proportion de patients arrêtant leur statine. A partir des données démographiques (certificat de décès), ils se sont rendu compte que, dans les mois qui ont suivi cet arrêt, la mortalité avait augmenté de 17% chez les personnes qui avaient arrêté. Cette augmentation de mortalité était la plus élevée (+26%) parmi les patients qui avaient souffert précédemment de maladies vasculaires (coronaires ou accident vasculaire cérébral). Les mêmes observations ont été répétées en Angleterre et au Danemark sous l’effet de controverses semblables.

Conclusions

On ne peut que regretter ce genre d’émission. L’article se veut surtout rassurant. Heureusement, d’après notre propre expérience et celles d'autres collègues, peu de patients sont venus l’évoquer lors de leur visite et aucun n’a déclaré vouloir arrêter ses médicaments. Sans doute, la raison l’a-t-elle emporté sur l’irrationnel et l'émotionnel de ces thèses complotistes, improductives et anxiogènes qui fleurissent dans les médias. Sans doute aussi la confiance vis-à-vis de leur médecin reste-t-elle bien ancrée et ne se laisse pas facilement éroder par les montages de quelques journalistes et médecins irresponsables et éloignés de la réalité.

Retrouvez ici le pdf de cette réaction. N'hésitez pas à l'imprimer et le remettre à vos patients intéressés.

  • Olivier Descamps 1, 2, Marc Claeys 3, Patrizio Lancellotti4, Agnès Pasquet5, Martin Buysschaert 6, Raymond Kacenelenbogen 7, Luc Pierard 8, Luc Missault 9, Christian Brohet10, Freddy Van de Casseye 11, Thierry Van der Schueren12

    1 Président de la Belgian Society of Atherosclerosis ;
    2 Président de l’Association des Patients Souffrant d’Hypercholestérolémie Familiale (www.Belchol.be).
    3 Président de la Belgian Society of Cardiology
    4 Président-élu de la Belgian Society of Cardiology
    5 Past Président de la Belgian Society of Cardiology
    6 Président de l'Association Belge du Diabète
    7 Président de la Belgian Working Group on Cardiovascular Prevention and Rehabilitation
    8 Editeur en chef de Acta Cardiologica
    9 Président du Comité Scientifique de la Ligue Cardiologique Belge
    10 Conseiller scientifique de la Ligue Cardiologique Belge
    11 General Manager de la Ligue Cardiologique Belge
    12 SSMG

    Correspondance: Olivier Descamps, Département de Médecine Interne, Centres Hospitaliers Jolimont, 159, rue Ferrer, 7100 Haine Saint-Paul. Service de cardiologie, Cliniques Universitaires Saint-Luc, Avenue Hippocrate, 10, 1200 Bruxelles.

  • [i] Descamps OS. Réponse des associations belges au reportage d’ARTE «le bluff du cholestérol». Louvain med 2016; 135 (9): 609-612.

    [ii] Cholesterol Treatment Trialists, Baigent C,Blackwell L, Emberson J, Holland LE, Reith C, Bhala N et al. Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol: a meta-analysis of data from 170,000 participants in 26 randomised trials.lancet 2010 ; 376, 1670-1681.

    [iii] Descamps OS. Polémique, intolérance, non adhérence et autres contrariétés autour de la prescription des statines ? Comment y faire face ? Louvain Med 2016; 135 (9): 600-608.

    [iv] Bezin J, Francis F, Nguyen NV, Robinson P, Blin P, Fourrier-Réglat A, Pariente A, Moore N. Impact of a public media event on the use of statins in the French population. Arch Cardiovasc Dis. 2016 Jul 26. pii: S1875-2136(16)30133-4.

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Derniers commentaires

  • Bernard GILLAIN

    19 mars 2018

    Mon père a fait un infarctus du myocarde en 1952 à l'âge de 52 ans.Il est mort au volant de sa voiture à 55 ans.A cette époque, il n'y avait que le SINTROM. S'il avait vécu à notre époque, il aurait survécu.Je l'ai perdu alors que j'allais avoir 15 ans.Ces imbéciles de pseudo-scientifiques savent-ils la difficulté qu'il y a pour un futur homme de grandir sans père? Maintenant, quand je prône un traitement hypolipémiant, j'explique 1 FOIS le bien-fondé du traitement......vous le prenez, vous ne le prenez pas ou plus...ce n'est plus mon problème."Qu''est-ce qui va arriver , Docteur?"....vous le verrez bien Monsieur ou Madame.Belle journée

  • François BERNAERTS

    19 mars 2018

    Le problème, c'est que l'on peut trouver des études sérieuses qui donnent des résultats dans tous les sens !
    J'avais relevé à l'époque des articles sur le cholestérol, dans nos revues médicales courantes, résumant des études qui m'avaient surpris par leur contenu. Je me risque à les glisser en résumé ici pour démontrer que tout et son contraire sont observables en médecine !
    1 ) RMG 272, avril 2010 p. 143: Sous l’intitulé : "Tabagisme actif et cholestérolémie basse : Cette vaste étude a suivi durant 10 années plus de 648 000 coréens du Sud (…) Les études montrent bien une importante augmentation du risque cardio-vasculaire chez les fumeurs. De plus en comparant les groupes à faible et haut taux de cholestérol, l'effet négatif du tabac sur la survenue des événements cardio-vasculaires est de la même importance !"
    Boulanger, Capdevielle. The association of smoking and cardiovascular disease in a population with low cholesterol level : a study of 648 346 men from de Korean national health system prospective cohort study. Stroke 2008 ; 39 : 760-7
    Donc aucune aggravation avec le cholestérol selon eux basés sur une même échelle de grandeur de durée que l'article ci-avant.
    2) RMG 282, avril 2011 p. 147 : Sous l’intitulé : "Prévention primaire cardio-vasculaire. Cet éditorial du British Medical Journal (BMJ) évoque la problématique de la prévention primaire cardio-vasculaire. La majorité des événements cardio-vasculaires surviennent chez des patients avec un taux de cholestérol modéré. Il ne semble donc pas intéressant de doser le cholestérol de tous les patients. La voie offrant le meilleur coût/efficacité serait donc de doser le cholestérol chez un public limité mais sélectionné. Il s'agirait avant tout autre, de patients hypertendus, des fumeurs ou des patients aux antécédents lourds".
    Reckless. Primary prevention of cardiovascular disease. BMJ 2011; 342 : d201.
    3 ) Minerva Evidence-Based Medecine Sept 2010 volume 9(8). Editorial p. 89
    Une méta-analyse (J Am Geriatr Soc 2008;56:1474-8) incluant des patients de 65 à 82 ans a confirmé l'intérêt par statine en prévention secondaire en termes de réduction de la mortalité de toute cause (RRR 22% à 5 ans)
    En majorité, en prévention primaire des 70-82 ans, l'importante RCT Prosper n'a pas montré d'intérêt pour les statines !
    Une étude WHO Obesity and overweight a démontré qu'un taux faible de cholestérol est un facteur robuste (sic) de mortalité chez les personnes âgées non démentes. !!!!!
    4 )Minerva Evidence-Based Medecine Oct 2010 volume 9(8). Editorial p. 92
    Une cholestérolémie faible est associée à une mortalité accrue. Chez les patients souffrant d'arthrite rhumatoïde, des taux bas de cholestérol total ou de LDL sont associés à un risque plus élevé de survenue d'événements cardio-vasculaires ! Ces observations pourraient inciter à remettre en cause l'intérêt de médicaments hypolipémiants pour ces catégories de patients…

    Les consignes actuelles sont d'ailleurs de ne plus prescrire en prévention primaire au-delà de 75 ans.

    Selon ce que nous voulons croire, nous picorerons dans l'une ou l'autre assiette.

    Dr Fr. Bernaerts
    Généraliste à Liège, qui se dit que tout n'est pas si blanc ou si noir.


  • Serge GIRAUDIER

    19 mars 2018

    Certaines convictions ont la vie dure, particulièrement quand elles rapportent gros comme c'est le cas des anticholestérolémiants. De nombreux scientifiques dans le monde pensent que le cholestérol n'est pas aussi responsable des pathologies cardiaques, en particulier coronariennes que les auteurs de cet article le prétendent. Les "patients", contrairement à ce que pensent ces ayatollahs de la médecine sont tout à fait capables de décider par eux-mêmes.