«L’Inami grand gagnant financier de la crise, les hôpitaux paient les pots cassés» (Peter Fontaine)

Les hôpitaux, médecins et infirmiers ont fait un travail exceptionnel pour accueillir et soigner les nombreux patients infectés par le coronavirus. Les applaudissements quotidiens de la population font chaud au cœur à tous ceux qui s’investissent dans la gestion de cette situation exceptionnelle… et pourtant, les soignants et les patients risquent fort de faire les frais de la crise, tant le Covid-19 soumet les hôpitaux à une lourde pression financière.

Personne ne parle en effet de la gueule de bois financière qui attend tous les hôpitaux ni de son possible impact sur la qualité des soins dans le futur. Les autorités ont réagi rapidement pour permettre aux établissements de disposer des liquidités nécessaires pour couvrir les coûts et les salaires sur le court terme… mais on sous-estime gravement l’impact financier à plus longue échéance.

Le gros problème des hôpitaux n’est en effet pas tant le surcoût lié au Covid que l’absence de garanties quant aux revenus et au budget total, alors que les frais restent inchangés voire augmentent. L’Inami, qui voit ses dépenses plonger grâce à l’interruption des soins électifs, apparaît comme le grand gagnant financier sur le court terme.

Des marges microscopiques

Les marges des hôpitaux étaient déjà microscopiques avant la crise – d'après l'étude annuelle de Belfius, un tiers étaient même en perte en 2018 et le résultat d'exploitation moyen ne dépassait pas 0,2 %.

Avec l'interruption forcée des activités médicales non urgentes, on constate un recul de 40 à 80 % dans certaines disciplines. Couplée à un financement à l'acte des prestations des médecins (avec retenues par l'hôpital pour couvrir les coûts), cette situation a fait dégringoler les revenus de ces derniers, mais aussi ceux des hôpitaux. Le budget pour le prix de la journée de soins est garanti, mais il ne représente que 36,5 % du CA des établissements… tandis que pour le volet financé à la prestation, la baisse pourrait atteindre 60 % au cours des mois de crise.

En parallèle, les frais restent élevés et, vu la mobilisation des infirmiers aux soins intensifs et dans les départements Covid, il est évidemment impossible de rogner sur le personnel. La baisse des coûts ne suffit absolument pas à compenser celle du CA réalisé sur les prestations, médicaments, suppléments et revenus divers.

Dans l'immédiat, les hôpitaux gèrent cet impact grâce à l’avance de liquidités des autorités ou en contractant des dettes supplémentaires. Nombre d’entre eux vont donc devoir rembourser plus ou plus longtemps.

Les assureurs privés aussi y gagnent

Si l’Inami ne garantit pas les revenus historiques des hôpitaux, ceux-ci risquent de traîner l'impact de ces quelques mois de crise sur leur rentabilité pendant dix ans, toute la question étant de savoir où il est encore possible d’économiser pour rétablir l’équilibre. Nous ne prenons même pas en compte ici l'impact de la perte des revenus liés à la contribution personnelle du patient, aux revenus d'activités connexes comme le parking ou aux suppléments, souvent couverts par les assureurs privés. Ces derniers aussi font aujourd'hui partie des gagnants de la crise.

Notre grande inquiétude est de savoir ce que ceci va signifier pour nos patients et nos infirmiers. D’après la célèbre étude RN4Cast du Pr Walter Sermeus (www.rn4cast.eu), la Belgique affiche déjà un taux d'encadrement infirmier par lit parmi les plus faibles d’Europe, de l’ordre d’un infirmier pour onze patients. Nos normes en la matière datent encore des années ‘60. La même étude souligne que le risque de décès chez les patients augmente de 7 % par lit supplémentaire à superviser par l’infirmier.

Les applaudissements ne paient pas le personnel

Les infirmiers et les patients risquent fort de faire les frais de la crise. Les hôpitaux doivent en effet préserver leur équilibre financier et, après la pression sur les marges et les mesures d’économies des dernières années, les frais de personnel restent le premier poste de dépenses. Les applaudissements du public ne paient malheureusement pas ces salaires.

Si les hôpitaux ne voient pas leurs budgets garantis, nous seront forcés, l’année prochaine, de revoir l’encadrement à la baisse alors même qui nous sommes tous bien conscients qu’il faudrait plus de personnel pour assurer les soins directs aux patients. Il y a donc un risque bien réel que les soignants (par le biais d’une charge de travail accrue) et les patients (par le biais d’une moins bonne qualité des soins) paient les pots cassés.

Je plaide donc pour qu’un pas soit fait vers les hôpitaux qui ont fait tout leur possible, avec les moyens du bord, pour combiner des soins de qualité et une gestion en bon père de famille. Si nous voulons préserver l’avenir des soins hospitaliers belges, il est indispensable de garantir aux établissements leurs revenus historiques (directs et indirects). La crise ne peut pas générer de bénéfices sur le dos des soignants, de la qualité des soins et des hôpitaux qui se démènent aujourd’hui pour garantir la prise en charge de patients parfois gravement malades.

> Retrouvez l'interview de Peter Fontaine dans MedFlix #13

  • Peter Fontaine est directeur général et administrateur délégué des Cliniques de l’Europe à Bruxelles.

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Derniers commentaires

  • André marie Louon

    22 mai 2020

    J'ai 71 ans, anesthésiste-réanimateur de formation, j'ai des le premier jour décidé de travailler comme salarié, peu de temps en Belgique puis les 25 années suivantes de par le monde. Un anesthésiste américain gagne, en moyenne 290.000 USD par an, un radiologue, (garde a la maison...) plus de 350.000 (Medscape). Je ne connais pas les chiffres des spécialistes "en privé" en Belgique mais il suffit de regarder "la cavalerie" des autos dans les parking médecins pour imaginer que cela ne va pas trop mal... J'ai aussi un MBA (Health admonistration) et connais +/- le salaires des directeurs d’hôpitaux. Arrêtez de vous plaindre, regardez autour de vous.

  • Kim ENTEZARI

    22 mai 2020

    J'espère en effet que l'hopital n'aura pas le réflèxe d'augmenter les taux de rétrocessions
    cela signifirait une double peine pour les médecins, manque de revenus lors de la crise et variable d'ajustement du déficit hospitalier.
    Il faudra etre vigilant dans les mois à venir pour ne pas etre les dindons de la farce

  • Freddy GORET

    22 mai 2020

    Ne pas s inquiéter chers confrères les hôpitaux peuvent augmenter les prélèvements sur nos honoraires comme d habitude