Sciensano ou Camus? Il faut choisir (Marc Wathelet)

Le gouvernement belge entame la phase 2 de son plan de déconfinement ce lundi 18 mai, phase qui comprend notamment la réouverture partielle des écoles, invoquant le bien-être des enfants et la nécessité pour leurs parents de reprendre une activité économique restée dormante trop longtemps. "Deux justifications qui ne résistent pas à l’examen par la raison, comme nous allons le découvrir" écrit le virologue Marc Wathelet dans une nouvelle mettre ouverte à la Première ministre , à son gouvernement et au parlement

Devant l’inquiétude des parents, le gouvernement veut rassurer la population. On ne rassure pas des adultes comme s’ils étaient des enfants, on leur décrit la situation objectivement et on cherche ensemble des solutions. Échaudé peut-être par les critiques formulée à l’égard de sa politique ayant conduit dans un premier temps à  minimiser la réalité du danger posé par le nouveau coronavirus, une politique qui nous a si mal servis jusqu’à présent, le gouvernement insiste cette fois-ci sur le fait que cette décision de réouverture partielle des écoles serait conforme à nos connaissances scientifiques.

De fait, l'Institut de Santé publique (Sciensano) a publié le 9 mai un document présenté comme un récapitulatif de toutes les connaissances actuelles sur l'impact du coronavirus sur les jeunes https://tinyurl.com/ya8n7547, afin de répondre aux interrogations des parents, un document repris dans toute la presse en Belgique et martelé depuis https://tinyurl.com/ya8q2wg2.

  1. Question: Les enfants, même sans symptômes, vont-ils transmettre le virus en masse?

Sciensano: « Contrairement aux autres virus des voies respiratoires, il semblerait que le virus du SARS-CoV-2 ne soit pas facilement transmis par les enfants. Les données scientifiques actuelles montrent que c’est par les adultes et pas par les enfants du même ménage que l’on risque le plus d’être contaminé ».

Certes, les enfants pourraient potentiellement moins infecter que des adultes, car leur flux respiratoire est moindre que celui d’un adulte. Mais ce n’est pas ça, la science ! En effet, Sciensano se base uniquement sur les quelques articles qui soutiendraient sa recommandation et ignore tous les autres articles qui prouvent le contraire. En science le comportement de Sciensano constitue de l’inconduite scientifique : en d’autres mots, cette déclaration est frauduleuse. 

Et le directeur de Sciensano, la cellule d’experts coronavirus du gouvernement, les porte-paroles officiels ne peuvent ignorer que cette déclaration va à l’encontre de l’information publiquement disponible, puisque je leur ai moi-même personnellement adressé les études qui prouvent le contraire de ce qu’ils affirment https://tinyurl.com/yd5pk4n6, https://tinyurl.com/yafolc4a, https://tinyurl.com/y6vwknnp.

Une étude publiée le 27 avril par le journal The Lancet et basée sur des données obtenues à Shenzhen à propos de 391 cas arrive à la conclusion que le risque de transmission des enfants de moins de 10 ans est de 7.4% comparé à une moyenne de 6,6% pour la population ! https://tinyurl.com/ybjr6a3k 

Une étude publiée le 29 avril dans le journal Science et basée sur des données obtenues à Wuhan (1.245 contacts et 636 cas) et Shanghai (1.296 contacts pour 557 cas) démontre que les enfants (0-14 ans) présentaient certes une susceptibilité à l’infection de l’ordre d’un tiers de celle des adultes (15-64 ans), mais que lorsque les écoles étaient ouvertes, l’augmentation de la fréquence de contacts des enfants avec des adultes n’appartenant pas à leurs foyers familiaux compensait cette moindre susceptibilité à l’infection, ce qui eut pour effet de conduire à un taux de transmission équivalent entre les deux groupes ! https://tinyurl.com/yc9bh7y7 

Ces résultats sont, d’ailleurs, conforme aux données rassemblées par le virologue allemand, le Dr. Christian Drosten, qui a été lui aussi attaqué lorsqu’il a révélé dans une étude portant sur 3.712 cas que la charge virale n’était pas statistiquement différente en fonction de l’âge https://tinyurl.com/y9moalll. Or ce sont des arguments absurdes que mettent en avant ses détracteurs https://tinyurl.com/ya8q2wg2, à savoir que sa méthodologie statistique ne serait pas correcte ou que la détection du virus par PCR n’impliquerait pas que le virus soit infectieux, alors même que c’est à eux de fournir la preuve que ce virus ne serait pas infectieux simplement parce qu’il proviendrait d’un enfant. Sur ce dernier point justement, la réalité est qu’une étude suisse prouve que la présence du génome viral détecté par PCR chez les nouveau-nés, les enfants et les adolescents correspond bien à du virus infectieux https://tinyurl.com/ydedkb4l, comme nous l’indiquait, du reste, le bon sens, dont nos « experts » semblent si dépourvus.

Qu’opposent, dès lors, les « experts » de notre gouvernement à ces résultats probants ? Une revue de 78 publications par le Collège Royal Britannique de Pédiatrie du 22 avril qui supporteraient la réouverture des écoles, sauf que le Collège lui-même a insisté que son sommaire concluait « le rôle des enfants dans la transmission du virus reste incertain » et qu’il « n’existe pas de preuve que ceux-ci ne constituent pas un réservoir de la maladie » https://tinyurl.com/y9zqc26n, et cette incertitude a été levée par les trois études décrites plus haut. De fait, de ces 78 publications très peu concernaient la transmission par les enfants de COVID-19. 

L’étude la plus « probante » sur l’absence de transmission des enfants, et reprise par un des auteurs de la revue britannique dans un nouvel article recommandant la réouverture des écoles https://tinyurl.com/y9swr46m, par les Drs. Munro et Faust (sic), nous vient du cas d’un enfant âgé de 9 ans en France qui a été contaminé par SARS-CoV-2 et qui n’a transmis la maladie COVID-19 à aucun de ses nombreux contacts (172), « preuve » que les enfants ne transmettraient pas le virus efficacement https://tinyurl.com/yc7xkjlh.

Si on prend la peine de lire l’article en question, au delà du titre et de son sommaire qui nous apprend que cet enfant avait une charge virale comparable à celle des adultes, on découvre non seulement que cet enfant était également infecté par deux autres virus, celui de la grippe et un picornavirus indéterminé, mais surtout que sa charge virale en SARS-CoV-2 n’était que de 5% au-dessus du seuil de détection du virus durant un jour et juste au seuil (10 copies du génome/1000 cellules) durant deux jours ‼ On peut, certes, qualifier cela de comparable au niveau détecté chez les adultes dans cette étude (jusqu’à 1.000 à 10.000 copies du génome/1000 cellules), de la même manière qu’une colline est comparable au mont Everest.

À point nommé dans ce débat nous est parvenu du Québec un autre rapport démontrant la transmission du nouveau coronavirus à partir d’un enfant infecté vers 12 autres enfants et 4 adultes dans le cadre une garderie pour enfants des personnels essentiels, que j’ai détaillé dans le Journal du Spécialiste https://tinyurl.com/y6vwknnp, une autre preuve indiscutable de la réalité de la transmission par les enfants dans le contexte scolaire. J’ai envoyé ce texte personnellement à tous les « experts » de notre gouvernement, qui manifestement choisissent de ne pas en tenir compte, autrement que d’ajouter le qualificatif « en masse» pour la transmission.

En conclusion, nous avons d’un côté le précédent que les virus respiratoires, dont les coronavirus endémiques, se transmettent efficacement par les enfants et que les crèches et les écoles sont des foyers de propagation de ces virus, ainsi que cinq rapports très probants portant sur de très nombreux cas qui nous indiquent que les enfants transmettent ce nouveau coronavirus tout aussi efficacement que les adultes, et de l’autre côté nous avons une étude sur un enfant infecté par d’autres virus qui a une charge virale à peine détectable pour SARS-CoV-2 et ne transmet pas ce virus à autrui, enfants ou adultes. Pour nos « experts », la conclusion s’impose « il semblerait que le virus du SARS-CoV-2 ne soit pas facilement transmis par les enfants ». Notons tout de même l’emploi du conditionnel, pour ne pas trop se mouiller, et l’absence totale d’honnêteté intellectuelle.

  1. Question: Que faire si mon enfant est malade?

Sciensano: Un enfant, cas Covid-19 confirmé ou possible, présentant des symptômes légers, sans hospitalisation: Peut retourner à l'école/à la crèche 7 jours à compter du début des symptômes, à condition qu'il n'ait pas eu de fièvre les 3 derniers jours ET qu'il ait également montré une amélioration considérable des symptômes. 

Cette recommandation de Sciensano suit une tradition bien établie maintenant d’être en contradiction flagrante avec les principes de santé publique les plus élémentaires. Comme c’est le devoir des professionnels de la santé de rester à jour de l’évolution des connaissances et que je constate des lacunes manifestes dans les connaissances de nos experts, je me permets de les assister dans leur tâche de formation médicale continue en les renvoyant d’abord au primer écrit à leur intention https://tinyurl.com/yd5pk4n6, et transmis le 24 avril, où j’explique que le temps moyen de portage du virus est de 20 jours, ce qui est le temps le plus long connu pour un virus qui cause une infection aigüe (c’est à dire qui n’établit pas une infection permanente, comme le fait par exemple le virus de l’immunodéficience humaine). Voir aussi https://tinyurl.com/y9w6grdp, https://tinyurl.com/tjy9t43, https://tinyurl.com/ycmffyyu, https://tinyurl.com/yczhfrof, https://tinyurl.com/y84ucyw9, https://tinyurl.com/y9h2799b, ce temps de portage peut s’étendre jusqu’à 63 jours, avec notamment une excrétion virale persistante 36 jours après la résolution des symptômes ! Ce même temps de portage de 20 jours pour SARS-CoV-2 a aussi été observé chez une enfant de 6 mois, et son seul symptôme était une fièvre à 38°C pendant seulement une heure https://tinyurl.com/yagvosor.

Au vu de cette réalité bien documentée, ce que Sciensano suggère de faire ici est de remettre à l’école des enfants qui seront porteur du virus en moyenne encore 13 jours de plus ‼ 

Sciensano: Un enfant avec Covid-19 confirmé ou possible ayant été́ hospitalisé: Peut retourner à l'école/crèche en concertation avec son médecin traitant et au moins 7 jours à compter du début des symptômes. 

Bis repetita, à compter du début des symptômes ! Sciensano suggère à nouveau de remettre à l’école des enfants qui seront porteur du virus en moyenne encore 13 jours de plus ‼ Pour un virus, rappelons-le, pour lequel nous n’avons ni traitement, ni vaccin, et alors que ce virus peut causer une maladie sévère ou même la mort. C’est en fait conduire une expérience dangereuse sur des êtres humains, où est l’avis du comité d’éthique qui approuverait cette expérience ? La triste réalité est que les recommandations de Sciensano constituent de la négligence criminelle et vont à l’encontre du code de Nuremberg.

  1. Question: Les enfants doivent-ils porter un masque? 

Sciensano: Les masques en tissu ne sont pas recommandés pour les enfants en crèche et de moins de 12 ans, car leur utilisation correcte ne peut pas être appliquée à ces âges-là. 

Pour Sciensano, nos enfants souffriraient d’un retard de développement très important par rapport aux enfants en Asie et seraient incapables de mettre un masque avant l’âge de 12 ans. Et l’étude qui démontrerait ça, on la trouve où? Et parce que peut-être, parfois, un enfant mettrait son masque incorrectement, cela justifierait que tous les enfants devraient être potentiellement exposés au virus? L’absurdité de cette position, soutenue par la Task Force pédiatrique, n’échappe à personne d’autre que leurs auteurs. La Belgique doit fournir un masque, au minimum un masque chirurgical, à tous les élèves et à tous les adultes aussi, et gratuitement puisqu’il s’agit d’une question de santé publique. Le port de ce masque doit être imposé non seulement dans les transports en commun, mais aussi dans les écoles, les commerces et autres lieux accessibles au public.

Pour quelles raisons est-ce que le gouvernement insiste-t-il de rouvrir les écoles ? Pas pour des raisons économiques, au mieux un parent sur six est libéré de son devoir de garde, et ce seulement un jour par semaine. Pour des raisons de bien-être psycho-social, pour qu’ils puissent retrouver la normalité de l’environnement scolaire et leurs amis ? On peut en douter quand l’environnement scolaire doit être à ce point modifié et les contacts entre enfants interdits. Une situation où chaque enfant doit rester dans son petit carré lors des récréations, c’est ça la normalité dont ils auraient tellement besoin ? Pour des raisons pédagogiques ? Il me semble bien plus profitable d’améliorer l’apprentissage à distance que d’essayer à tout prix de forcer quelques élèves à suivre quelques cours dans de dangereuses conditions.

Est-ce que la réouverture des écoles dans ces conditions va conduire à un tsunami de nouveaux cas en Belgique ? Probablement pas, car le nombre d’enfants impliqués et le nombre de jours d’école par enfant seront faibles. Si c’est pour pouvoir dire cet été, il y a eu peu de cas, on peut donc avoir une rentrée de toutes les classes en septembre, ce serait une extrapolation qui ne tiendrait pas la route puisque l’effet est proportionnel au nombre d’élèves et heures de classes. Pour rouvrir les écoles dans des conditions de sécurité décentes, le risque zéro n’existant pas, il faut surtout que tous le monde porte un masque chirurgical. 

Oui, le Danemark après avoir fermé ses écoles le 13 mars a déjà pu les rouvrir, mais ce pays a été touché par beaucoup moins de cas que la Belgique. En Allemagne, aussi bien qu’en Chine et au Japon, plusieurs districts ont dû refermer leurs écoles à cause du développement de nouveaux foyers d’infections. Pour pallier au manque social bien réel des enfants dans cette situation de crise, nous pourrions élargir le concept de « bulles » aux enfants et leur permettre un groupe fixe d’amis avec lesquels ils peuvent jouer à l’extérieur sous une supervision adulte.

Marc Van Ranst, membre du GEES, n’a jamais caché son désir de garder les écoles ouvertes, pour permettre l’élaboration de l’immunité collective basée sur une immunité individuelle naturelle, un concept bancal d’un point de vue scientifique quand on comprend que les coronavirus n’induisent qu’une faible immunité naturelle comme expliqué ici https://tinyurl.com/yd5pk4n6. Van Ranst avait aussi initialement le contrôle effectif du dépistage par son laboratoire et était opposé à son élargissement tôt dans la crise, une erreur flagrante. Avec Sciensano, qui déterminait les critères de qui pouvait être dépisté et qui pouvait être hospitalisé, deux hommes, le directeur de Sciensano, Steven Van Gucht, et Marc Van Ranst ont pris et continuent à prendre des décisions avec leurs collaborateurs, qui ont contribué et vont continuer à contribuer à un excès de mortalité qui était et serait évitable en respectant les principes de santé publique.

En France, le Conseil d’État dans l’affaire du médicament Médiator a conclu que « système de sécurité sanitaire fonctionne en vase clos, nourri d’informations scientifiques circulant en circuit fermé ». En Belgique, la science qui devrait guider une réponse rationnelle du gouvernement à cet crise est en fait l’otage de ces deux hommes, avec un agenda qui en pratique va manifestement à l’encontre de la santé publique, et qui refusent tout débat avec des experts indépendants. La conclusion du Conseil d’État français était d’inciter le pouvoir publique à « mettre en place une procédure protégeant les lanceurs d’alerte », ce dont le pouvoir publique belge ferait bien de s’inspirer. 

Les positions officielles de Sciensano et du gouvernement belge sont anti-scientifiques et donc indéfendables dans le contexte d’une pandémie, où seule l’honnêteté peut nous permettre de la vaincre, comme nous le rappelle Camus : "il ne s'agit pas d'héroïsme dans tout cela. Il s'agit d'honnêteté. C'est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c'est l'honnêteté." Albert Camus, La Peste (1947).

La science... est une méthode pour poser des questions gênantes et les soumettre à un test de réalité, évitant ainsi la tendance humaine de croire ce qui nous fait nous sentir bien. - Sir Terry Pratchett

C’est vrai que les parents seraient rassurés de savoir que les enfants ne transmettent pas le virus et ne peuvent pas tomber gravement malade eux-mêmes. Seulement, voilà, ce n’est pas vrai. Soyons honnête : les enfants peuvent tomber très malades, c’est rare, certes, et même mourir, c’est encore plus rare ; et les enfants transmettent le virus aussi bien que les adultes.

Madame Wilmès vous vous êtes offusquée quand Jérôme Colin a parlé de mensonges et avez répondu "Des mensonges, il n’y en aura pas. Il ne peut pas y en avoir." Sans polémiquer sur les intentions ou les compétences intrinsèques de Van Gucht et Van Ranst, le fait est que leurs discours restent anti-scientifiques et injurieux de notre santé publique. 

Selon le principe de Peter, quand un individu a été promu dans une position pour laquelle il n’est manifestement pas compétent, c’est à la hiérarchie responsable de réassigner l’individu à une tâche pour laquelle il est compétent. Et donc ce serait le rôle de la Première Ministre et du gouvernement de mettre en place des conseillers scientifiques compétents qui ont à cœur la santé publique du pays, plutôt que de maintenir dans leur position des « experts » qui se trompent dans leurs prédictions depuis le début de cette crise, dont l’agenda ne semble pas être la santé publique, et qui continuent dans leur campagne de désinformation.

Le bon sens ici est de respecter le principe de précaution et ne rouvrir les écoles que quand des masques chirurgicaux seront disponibles pour tous, et que notre système de dépistage et de traçage aura fait les preuves de son efficacité.

La seule façon de lutter contre la COVID-19, c'est l'honnêteté.

  • Marc Wathelet est docteur en science.  Il a étudié la chimie à l’Université libre de Bruxelles et est titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire. Parti aux États-Unis durant 25 ans, il est passé par Harvard, l’Université de Cincinnati et dans un institut consacré à la recherche sur les maladies respiratoires à Albuquerque. Il a dirigé une équipe de chercheurs aux États-Unis sur différentes souches de coronavirus, en particulier le SRAS-CoV, qui a provoqué l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère en 2003-2004.

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