Soins aux immigrés, un labyrinthe ?  ( Dr. Lawrence Cuvelier )

En travaillant dans une des villes les plus cosmopolites du monde, on peut se targuer d’avoir vu défiler des gens issus des quatre coins du monde, du Mongol au Nouveau-Zélandais, du Mauricien à l’Erythréen, notre salle d’attente a toujours été une tour de Babel. Les obstacles pour prodiguer un bon soin sont multiples et souvent kafkaïens. La plupart du temps, les difficultés rencontrées sont cumulatives. 

Le premier obstacle est d’ordre culturel, chaque patient s’inscrit dans une culture qui détermine le lien au corps et la façon d’exprimer sa douleur, plus ou moins importante, souvent d’après un axe Nord-Est Sud-Ouest. Un Polonais n’aura pas la même expression de la souffrance qu’un Italien pour rester en Europe, les autres cultures sont parfois encore plus difficiles à déchiffrer.

Comme l’anamnèse est la base d’une bonne performance clinique, la langue et les expressions de la maladie sont déjà un vrai casse-tête. Il arrive souvent qu’un africain parle de douleur au pied alors que cela peut signifier n’importe quelle place du membre inférieur. On ne peut trouver un bon interprète pour toutes les langues rencontrées, mais une étude très intéressante présentée comme travail de fin d’étude montre que les patients préfèrent que ce soit un membre du personnel qui assure la traduction plutôt qu’un interprète ou un membre de la famille. Le manque de connaissance médicale et l’intimité sont souvent un problème quand il s’agit des deux dernières possibilités.  

Le deuxième obstacle est d’ordre social, il existe une forte population de personnes en séjour illégal et de très nombreux demandeurs d’asile. Actuellement, il vaut beaucoup mieux être en situation illégale pour bénéficier des soins de santé. En effet, les CPAS sont tenus d’assurer les soins de ces personnes. La fourchette d’estimation du nombre de clandestin varie entre 100.000 et 170.000 en Belgique. Le nombre de personnes bénéficiant d’une aide médicale urgente est d’environ 20.000, parmi ceux-ci les 2/3 sont aidés par les CPAS bruxellois et 1/3 par le CPAS de Bruxelles-ville. L'aide apportée par ces derniers est globalement très correcte, mais évidemment il faut que la situation soit reconnue, et certains se font un plaisir de jouer sur les mots, en particulier sur le lieu de résidence.

Si le patient peut en principe recevoir l’aide du corps médical, l’accès au spécialiste reste compliqué. Si la loi précise bien que ces patients ont droit à tout type de soins, d’ordre curatif autant que préventif, cette loi porte le nom bien mal choisi d’aide médicale urgente. Le législateur entendait par le terme urgente, l’urgence sociale, mais certains praticiens ont compris qu’il ne fallait traiter que les urgences vitales ce qui est absurde et à long terme fort coûteux puisque dans ce type de population vulnérable, des soins qui ont été retardés peuvent s’avérer un gouffre financier pour avoir trop attendu. Il n’est pas toujours possible de maintenir la qualité des soins dans des services hospitaliers débordés par des cas lourds à la fois sur le plan médical et psychiatrique.

Il faut mentionner les efforts remarquables qu’ont fait les autorités fédérales par l’intermédiaires du ministères des affaires sociales dans un programme mediprima dans lequel participe les syndicats médicaux. Ce programme permettra de faire les documents de manières électroniques et de réduire à moins d’une semaine le délai de paiement. Malheureusement, il n’y a qu’un seul logiciel médical qui a fait les démarches pour mettre en œuvre cet instrument. Quant aux demandeurs d’asile, ils dépendent de la structure Fedasil, et les démarches sont tellement compliquées que la plupart des médecins refusent de prendre en charge ce type de patient. Il faut faire  des réquisitoires pour le remboursement de chaque médicament. Il vaut mieux ne pas faire une crise d’asthme le vendredi à 19 heures. Une structure mise au point par la FAMGB en collaboration avec Médecins du Monde permet de recevoir ce type de patient plus aisément avant de les réorienter vers des généralistes si c’est possible.  

Enfin, l’accès au cabinet de médecine générale est devenu compliqué pour tout patient étranger, qu’il soit riche ou pauvre, car de nombreux médecins ne prennent plus de nouveaux patients, avec parfois cette belle exception de faire une place pour les patients en situation illégale. Mais évidemment, ils sont aussi nombreux parmi les généralistes à refuser ce type de patientèle. 

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