Une nouvelle problématique de santé : l’écoanxiété. (Dr C.Depuydt)

Au coeur de notre quotidien, la problématique environnementale prend une place de plus en plus importante et impacte notre santé depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, certains patients qui entrent dans un cabinet médical se plaignent de symptômes qui recouvrent une nouvelle problématique de santé : l’écoanxiété.

Pour rappel, l’anxiété climatique, ou éco-anxiété, a déjà fait l’objet de nombreuses recherches . (Usher K, Durkin J, Bhullar N. Eco-anxiety: How thinking about climate change-related environmental decline is affecting our mental health. Int J Ment Health Nurs. 2019;28(6):1233-1234. DOI:10.1111/inm.12673 3. Clayton S. Climate anxiety: Psychological responses to climate change. J Anxiety Disord. 2020;74:102263. DOI:10.1016/j.janxdis.2020.102263) qui précise que « L'anxiété climatique est plus fréquente chez ceux qui se soucient davantage des problèmes environnementaux (Clayton & Karazsia, 2020 ; Searle & Gow, 2010) ou qui ont subi certains impacts du changement climatique (Reser et al., 2012). La susceptibilité à l'anxiété climatique variera également en fonction de la personnalité. »

Au quotidien, les médecins accueillent donc de plus en plus de patients touchés par cette réalité. Nous y sommes toutes et tous confrontés  en tant que médecin et citoyen. Connaître cette problématique d’écoanxiété offre la possibilité d’avoir en sa possession une petite clé de compréhension supplémentaire lors de sa consultation. Cela permet de poser des mots et de la comprendre sans dramatiser. Donner des outils pour comprendre le patient dans sa souffrance. 

Les symptômes

Parmi les publics les plus concernés, les jeunes sont très représentés. Ils arrivent au cabinet avec des symptômes anxieux qui se caractérisent par des insomnies, des crises d’attaques paniques, mais aussi par un désinvestissement dans le futur, une résignation voire même des idées noires et des idées suicidaires pour certains, qui en fait, ne voient plus d’avenir. 

Ces symptômes peuvent s’accompagner d’autres troubles. Avec l’ecoanxiété, on peut aussi constater une augmentation du risque de consommation et d’addiction qui sont une tentative d’apaiser les anxiétés. Une augmentation des addictions à visée anesthésiante. 

Burnout ou ecoanxiété ?

En cette période de forte hausse des burnout, comment différencier l’un de l’autre ?  Le thème principal des craintes du jeune ou du patient en consultation est le changement climatique. Il s’inquiète de tout ce que l’on ne fait pas par rapport à cela :  les rapports du GIEC, la biodiversité, la couche d’ozone, le futur de la planète, notre futur..... Dans leur réflexion, les impacts peuvent être nombreux . « Pourquoi m’investir autant dans un métier qui va m’user si je ne vois pas mon avenir... » ou « Pourquoi je ferai des enfants dans un monde qui n’a pas réellement de futur ? ». Il y a donc clairement un manque d’envie, de désir et d’idéaux... 

L’anamnèse

Dans sa pratique, le généraliste ou le spécialiste va devoir décoder cette thématique dans son anamnèse . Le patient peut le dire ouvertement et parler de ses anxiétés et de ses difficultés à dormir. Comme pour d’autres pathologies, le/la patient peut aussi venir pour un décrochage scolaire ou professionnel. 

Les jeunes ne sont pas évidemment les seules personnes concernées . Je rencontre aussi des étudiants, des chercheurs dans le domaine de l’écologie, des géographes, des agriculteurs, des indépendants. Assez rapidement, le soignant trouve la thématique qui occupe le discours et l’esprit de la personne en souffrance. 

Chez certains soignants, un certain scepticisme peut poindre quand on parle d’écoanxiété.  On pourrait avoir tendance à minimiser cette problématique et pourtant, elle est bien réelle. Même si ce n’est pas reconnu dans le DSM ou dans un manuel de diagnostic, l’écoanxiété a émergé depuis une dizaine d’années. Ces  troubles ne sont pas à minimiser parce qu'ils peuvent amener à des troubles dépressifs graves avec des idées suicidaires. Comme tous les troubles psys, les personnalités les plus anxieuses peuvent être touchées ou les jeunes adultes qui traversent un moment difficile....l’écoanxiété peut être la goutte d’eau qui peut faire déborder le vase. Concrètement, il convient de prendre l’écoanxiété sans la dramatiser, mais avec sérieux. 

L’écoclairvoyance

La prise en charge mérite le plus grand soin. Je réfléchis beaucoup à la manière dont j’en parle avec les jeunes. Je parle avec eux d’écoclairvoyance. Je ne commence pas par leur parler d’une pathologie. Je ne remets pas la responsabilité sur le patient. Nous pouvons reconnaître qu’être anxieux face à un tel changement climatique... c’est finalement être assez sain d’esprit. Je ne leur parle donc pas d’anxiété, mais de clairvoyance. Cela leur permet de reprendre déjà un peu pied dans ce qu’il ou elle vive ou ressente. La première difficulté pour la personne en souffrance est de reprendre un peu la maîtrise de son anxiété, de sa vie. En effet, elle ne voit pas comment toute seule, elle peut lutter contre le changement climatique. Toute la dimension de la prise en charge est de l’aider à reprendre un peu la maîtrise de la situation à son niveau.

Survivre et penser aux écoémotions

Pour l’être humain, l’anxiété est aussi un mécanisme de survie. Je rappelle que pendant la période de Neandertal les moins anxieux n’ont peut-être pas survécu parce qu’ils ne percevaient pas le danger. L’anxiété est donc un mécanisme de survie qui permet de mettre en place des mécanismes adaptatifs pour la survie. Expliquer cela permet de diminuer la culpabilité, l’impuissance et la résignation du patient.

L’intégration des émotions dans le discours est très importante. Je parle aussi des émotions qui sont liées à cette problématique. Ce concept s’appelle les écoémotions : colère, joie, espoir, résignation, optimisme...Quand elles ont une tonalité écologique, certaines émotions vont nous apaiser...mais d’autres vont nous paralyser. Certaines émotions peuvent nous pousser à l’action comme l’espoir. 

Tout cela permet d'avoir une construction logique. Nous pouvons donc faire un carré où des émotions positives poussent à l’action (espoir) , des émotions positives poussent à l’inaction (le détachement), des émotions négatives poussent à l’action (la colère), ou des émotions négatives poussent à l’inaction (le désespoir et la résignation). Les écomotions, les plus bénéfiques comme le montre une étude australienne de 2021, pour diminuer l’écoanxiété sont la colère par exemple parce qu’elle pousse à l’action. Donc avoir une émotion négative n’est pas tout le temps négatif.

Le patient à risque

Face à toutes ces émotions, il faut garder la clairvoyance. Je leur demande d’estimer où ils en sont dans leur baromètre. Évidemment, je suis très attentive aux patients dont les émotions négatives poussent à l’inaction. Quand un patient est coincé dans ce cadran-là, j’essaie de le faire évoluer. Ce qui compte donc, c’est de permettre à la personne de circuler dans toutes ces écoémotions pour retrouver la maîtrise et son pouvoir d’action. Rendre le patient acteur de sa remise en forme.  
Le traitement

La question du traitement revient fréquemment. Que faire ? Il est avant tout symptomatique. Il faut donner à la personne des clés de compréhension pour qu’elle culpabilise moins et se sente moins mal. Elle doit retrouver des façons de se remettre en mouvement. Quand la dépression nécessite des médicaments, il convient évidemment d'étudier la question. 

  • Cheffe de service à la Clinique Fond’Roy,  directrice médicale adjointe à Epsylon Bruxelles et active au sein de l’Absym (membre du CA de l’Absym), la Dr Caroline Depuydt, reçoit de plus en plus de patients souffrant de cette pathologie.

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.