Vive la psychiatrie !

Oui, la psychiatrie est bien vivante ! Elle palpite et étincèle à travers toutes les époques. Le temps qui passe est favorable à cette discipline très dynamique. 

Tant le monde médical que les patients et le grand public sont conscients de l’importance d’une approche plus holistique des soins de santé.  L’époque des interventions pointues hautement techniques et des raisonnements linéaires qui vont de pair (problème -> supprimer -> guérir) fait place à une nouvelle ère, lentement mais sûrement. Il est de plus en plus évident que de nombreuses affections psychiatriques trouvent leurs racines (et prolongement) dans une interaction complexe entre des facteurs (épi-) génétiques et autres facteurs biologiques, et des facteurs psychosociaux liés au mode de vie (inégalités sociales). Pour de nombreux problèmes médicaux, les solutions axées sur l’amélioration de la qualité de vie et la fonctionnalité semblent beaucoup plus larges et complexes qu’on ne le supposait il y a quelques décennies. La psychiatrie est à l’avant-garde de cette évolution : gérer la complexité, les variables inconnues et les interactions multidirectionnelles constitue le domaine de prédilection des psychiatres par excellence. L’approche holistique qui se trouve à la base de la spécialité psychiatrique se traduit par une approche multidisciplinaire forte qui peut servir d’exemple pour le reste des spécialités médicales. 

La pandémie de COVID-19 (et nous déplorons qu’il en ait été ainsi) nous a donné une nouvelle impulsion et l’importance de la santé mentale est désormais évidente pour chaque citoyen (et politicien). Aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer qu’il n’y a pas de santé sans santé mentale et que la santé mentale est l’affaire de tous.   

Ces 10 dernières années, la psychiatrie a connu de nombreux changements (reconnaissons que les années précédentes, c’était le calme total). Les pressions exercées par les patients, les associations psychiatriques, des collègues inspirants et même la communauté internationale (la Belgique a été condamnée à plusieurs reprises notamment pour la prise en charge des internés) ont poussé les autorités à introduire des changements fondamentaux dans l’organisation des soins psychiatriques. Les hôpitaux psychiatriques « à l’ancienne » où les patients séjournaient (beaucoup trop) longtemps ont été convertis en lieux de traitement hautement spécialisés. Les lits ont été progressivement supprimés et les équipes psychiatriques mobiles ont été déployées sur l’ensemble du territoire. Les soins médico-légaux ont été radicalement réformés et élargis. Actuellement, des investissements considérables sont réalisés pour que l’accompagnement psychologique soit plus accessible à la population. 

Au sein des soins de santé mentale, une culture d’apprentissage visant à l’amélioration de la qualité  (notamment les indicateurs de qualité) est en plein développement. Ceci, avec la participation active des experts du vécu et des familles, rend notre profession plus transparente. Il s'agit aussi d'accroître la transparence de la pensée et de l'action éthiques. Les aspects éthiques complexes de notre profession concernant par exemple l’euthanasie et les mesures restrictives de liberté sont plus que jamais soumis à une évaluation et à des ajustements scientifiques et critiques. En parallèle, la législation subit elle aussi un processus de changement.

Ces 20 dernières années, la recherche en neurosciences a connu une forte expansion au niveau international. Plusieurs groupes de recherche belges y contribuent activement. Bien que notre pays investisse beaucoup moins dans la recherche psychiatrique par habitant que les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, ce secteur est aussi en plein essor en Belgique. Il n’y a jamais eu autant de doctorats en psychiatrie qu’au cours des 10 dernières années. 

La recherche livre des informations essentielles sur les mécanismes qui sous-tendent les différents troubles psychiatriques et les dimensions du fonctionnement mental. La particularité de notre domaine est que la recherche se trouve à la charnière des sciences cliniques, des (neuro-) sciences (biologie, biochimie, génétique, informatique) et des sciences humaines et comportementales (psychologie, philosophie, linguistique, sciences sociales,...). Selon certaines critiques, ces connaissances scientifiques croissantes ne se traduisent pas encore suffisamment par une amélioration effective des soins et traitements cliniques. Cette objection est en partie justifiée. Transposer la recherche dans la réalité clinique nécessite beaucoup de temps et constitue actuellement l’un des défis majeurs de notre profession. Cependant, des révolutions cliniques significatives ont aussi été amorcées, tant au niveau technique (par exemple neuromodulation) qu’au niveau des premières démarches pour une offre (psycho-) thérapeutique plus personnalisée. 

La recherche neurobiologique n’est pas le seul domaine en pleine croissance. Ces dernières années, la recherche s’est développée remarquablement et l’attention politique s’est concentrée sur une approche de « Public Mental Health (PMH) » qui ambitionne une translation des sciences vers le monde politique. A ce sujet, le KCE a publié des rapports et des avis très intéressants sur l’amélioration du paysage des soins de santé mentale. Le monde politique estime aussi que développer les soins psychologiques en première ligne est une nécessité et des investissements massifs sont réalisés à cette fin.  

La psychiatrie attire plus d’étudiants en médecine. L’époque où les quotas n’étaient pas atteints est totalement révolue. Outre la garantie de sécurité de l’emploi, les jeunes collègues sont attirés par la diversité de la profession où le contexte (ambulatoire, centre de santé mentale, SPHG et HP), la population de patients et le contenu du travail (clinique, scientifique, gestion) peuvent être personnalisés en fonction des préférences personnelles. Cela garantit un parcours professionnel polyvalent et dynamique. 

Bonnes ondes

En résumé, beaucoup de choses bougent dans notre profession. Mais est-ce suffisant pour répondre à la demande de soins mentaux de la population belge? Trois fois NON ! Par rapport aux pays qui nous entourent, la Belgique dépense toujours beaucoup moins pour les soins et la recherche dans le domaine de la santé mentale. En Belgique, les patients souffrant de troubles psychiatriques graves meurent également beaucoup trop souvent (et) beaucoup trop tôt. L'interaction et la collaboration avec les soins somatiques sont encore difficiles. La formation en santé mentale au sein du cursus médical reste insuffisante. Mais tout cela n'enlève rien au fait qu’en tant que profession, la psychiatrie vit une période passionnante et sans précédent. Un avenir fascinant attend tous les nouveaux jeunes collègues qui entament leur formation ou débutent leur carrière aujourd’hui. Ils disposent d'un large éventail de possibilités professionnelles, d'une grande variété d'emplois et d'une base scientifique solide dans un domaine qui occupe une place de plus en plus prépondérante dans la vie médicale et sociale. Des opportunités et des perspectives dont nous ne pouvions que rêver il y a vingt ans. 

Oui, la psychiatrie est une profession qui se trouve au cœur des actualités et recèle bon nombre d'opportunités. L'importance et la pertinence de ce domaine ne sauraient être trop surestimées en ces temps complexes. 

Cette rubrique du Spécialiste s’intitule « Good Vibes », bonnes ondes. A vrai dire, actuellement pour la psychiatrie, ce sont de plus que de bonnes ondes.  Il s’agit plutôt d’une puissante lame de fond sociale et scientifique sur laquelle la discipline surfe pour aller à la découverte de possibilités inouïes. Nous sommes impatients d’affronter ces nouvelles vagues.  

Auteurs

Prof. Dr Geert Dom

Président de l’Union professionnelle belge des médecins spécialistes en psychiatrie 

Président élu, Membre du conseil d’administration de la European Psychiatric Association.

Dr Olivia Cools

Secrétaire de l’Union professionnelle belge des médecins spécialistes en psychiatrie

PC Karus, Melle. 

Dr Livia De Picker

Universitair Psychiatrisch Ziekenhuis, Duffel & Universiteit Antwerpen

Membre du conseil d’administration de la European Psychiatric Association 

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Derniers commentaires

  • Isidore PELC

    14 octobre 2021

    Bravo, mon cher Geert Dom
    J'espère Que tout se passe le mieux possible pour toi même et tous les tiens...
    Chez nous également, je viens de passer le cap des 80 ans, Et tout va bien
    Félicitations encore pour cet article et Amitiés
    Prof. Isy Pelc