In the Eye of the Storm: le mouvement d'avant-garde en Ukraine se dévoile à Bruxelles

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Anatol Petrytskyi, Alexandra Exter, Mykhailo Boichuk... Ces noms ne vous disent peut-être rien et pour cause: les artistes du modernisme qui évoluèrent en Ukraine au tout début du 20e siècle sont méconnus en Europe de l'Ouest. L'exposition itinérante "In the Eye of the Storm: Modernism in Ukraine 1900-1930s" des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MrBAB), qui s'ouvrira jeudi à Bruxelles, fait donc coup double: lever le voile sur la créativité ukrainienne de cette époque tout en protégeant plus de 60 œuvres de l'invasion russe, qui ravage le pays depuis le 24 février 2022.

Généralement regroupés sous le label d'"avant-garde russe", les artistes du modernisme en Ukraine sont d'origine polonaise, bélarusse, ukrainienne... mais ont tous en commun d'être nés sur le territoire de l'Ukraine actuelle ou d'avoir posé leurs valises et palettes à Kyiv ou Kharkiv (dans le respect de la prononciation ukrainienne), les deux villes d'où proviennent les œuvres (prêtées par deux musées locaux et quelques collectionneurs privés). Ces esthètes ont évolué dans une période troublée, entre chute de l'empire russe, Première Guerre mondiale, révolution bolchévique, lutte pour l'indépendance et avènement de l'Ukraine soviétique.

Déclinée en huit chapitres condensés en deux salles, l'exposition propose donc de (re)découvrir des œuvres aussi diverses que des dessins de costumes d'opéra, des peintures cubistes, des aplats byzantins revisités ou encore des tableaux monumentaux annonçant le réalisme socialiste, qui sera ensuite imposé par le régime soviétique.

Le premier chapitre s'intitule "Cubo-Futurisme". C'est la période où les artistes découvrent le foisonnement de mouvements artistiques naissants qui s'exposent à Paris, Vienne ou encore Munich. Ces hommes et ces femmes reviennent ensuite en Ukraine où ils mêleront ces influences cubistes, abstraites, etc. aux traditions locales, comme les broderies colorées qui inspirèrent Alexandra Exter, illustre Jean-Philippe Theyskens, médiateur culturel aux MrBAB.

Le deuxième volet explore ensuite le travail, souvent abstrait, de la Kultur Lige, une organisation juive laïque dont le but était de promouvoir la culture en yiddish. L'importance du théâtre transparait, elle, dans le troisième volet. "À partir du moment où l'ukrainien a été reconnu comme langue" après la chute de l'empire russe, "des théâtres ont ouvert pour défendre celle-ci et de nombreux artistes ont mis leur talent au service" de ce moyen d'expression, retrace Jean-Philippe Theyskens.

Les velléités d'indépendance ukrainiennes se heurtent toutefois à un mur. Le parcours bascule alors de Kyiv à Kharkiv, où est transférée la capitale de la désormais République socialiste soviétique d'Ukraine, au sein de l'URSS. Le cinquième chapitre est consacré à Mykhailo Boichuk, qui émerge à cette période. "Le peintre est un des premiers à revisiter la tradition des icônes dans les églises, des images byzantines et les formes simplifiées."

Les Biennales de Venise - plus ancienne grande manifestation d'art contemporain international - de 1926 et 1928 prennent ensuite le relais. "Chaque pays envoie ses œuvres dans un pavillon, et celui de l'Union soviétique contenait une section ukrainienne", contextualise le médiateur culturel. "Les artistes ont alors encore une certaine marge de manœuvre, qu'ils ont également développée avec un Institut des Beaux-Arts", septième étape de ce périple dans la créativité ukrainienne.

Le parcours se referme sur les années 1930 et la "dernière génération" d'artistes à jouir d'une certaine liberté, avant que la stalinisation n'empêche les expressions personnelles de fleurir. Les artistes seront ensuite obligés de suivre un style officiel: le réalisme socialiste. "Certains allaient déjà vers ce style monumental, photoréaliste, glorifiant l'ouvrier, les femmes actives, la foi dans la technologie... Jusqu'au moment où même cela, c'était trop moderne. Leurs œuvres sont alors interdites, reléguées dans des caves, détruites", conclut M. Theyskens.

"'In the Eye of the Storm' raconte les tentatives des artistes de l'Ukraine pour soutenir la culture et faire reconnaître l'indépendance" du pays, résume finalement Francisca Vandepitte, co-commissaire de l'exposition. Un objectif d'antan aux échos particuliers aujourd'hui, puisque les œuvres ont été évacuées le 15 novembre 2022 du Musée national d'art d'Ukraine (Namu) et du Musée du théâtre, de la musique et du cinéma d'Ukraine. Pour éviter tout dommage, le convoi a évité des infrastructures susceptibles d'être attaquées tout le long de son chemin vers la frontière polonaise. Les pièces ont ensuite rejoint Madrid et le musée Th yssen-Bornemisza, à l'initiative de cette "exfiltration" via l'initiative "Museums for Ukraine".

Après Bruxelles du 19 octobre au 28 janvier, l'exposition mettra le cap sur le musée du Belvédère à Vienne et la Royal Academy of Arts de Londres. Une exposition itinérante qui, espère Jean-Philippe Theyskens, prendra fin avec la guerre. Certaines œuvres, comme un dessin du père du courant suprématiste Kazymyr Malevych, "sont très fragiles. C'est pourquoi l'exposition ne peut se prolonger indéfiniment".

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