La médecine du futur en question(s): les objets connectés

La Convention on Health Analysis and Management, organisée par Guy Vallancin auteur de «La Médecine sans médecins?» a eu lieu à l’automne dernier. Le concept de cette réunion est basé sur des tables rondes avec des experts invités qui débattent sur des sujets d’actualité en matière de santé publique. Le titre principal était: «Liberté, santé, inégalité». Le thème a été décliné en différents sujets: les objets (sujets) connectés, l’évaluation des professionnels, les nouvelles technologies d’information et l’impact sur la médecine, l’open connaissance pour tous, la performance de l’écosystème médical et la nécessité des données… Nous traitons ici des questions soulevées par les objets connectés.

 Les objets connectés: aide, drogue ou espion?

Joël de Rosnay, scientifique et écrivain renommé, par ailleurs élu personnalité numérique de l’année 2012, a ouvert la joute verbale en lançant le concept de «l’écosystème numérique» truffé d’objets intelligents. L’adjectif intelligent fait référence à trois qualificatifs: temps réel, interactif et proactif. Il n’y a aucun doute que ces objets connectés changent complètement les comportements humains. Selon de Rosnay «les objets sont des extensions de nos corps et par conséquent nous devenons nous-même des objets connectés». Ils permettent à l’humain de s’acheter de nouveaux sens que nous n’avions pas préalablement (ubiquité, géolocalisation, connexion continue à des réseaux sociaux).  Dans le monde médical, ils apportent sans aucun doute une opportunité exceptionnelle. Il suffit de citer en guise d’exemple l’intérêt en matière de compliance aux traitements.

Ce mouvement de la société vers les objets connectés – et l’humain deviendra un «objet» connecté – est largement poussé par des entreprises «états» caractérisées par des moyens financiers hors du commun et regroupées sous l’acronyme GAFAMA (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Alibaba). Elles sont d’ailleurs rejointes par les NATU (Netflix, AirBnB, Tesla, Uber) qui n’ont rien à envier en termes de moyens financiers et qui veulent également leur part du lion. L’écosystème médical va changer et le médecin deviendra un conseiller en matière de santé. Il s’occupera du «management du corps» et de Rosnay utilise le terme «bionomie». Le médecin va donc devoir évoluer rapidement et devenir «bionomiste» (conseiller de vie). On sort enfin du modèle «paternaliste» pour évoluer vers un «partenariat» avec le patient et ce dans une relation d’égal à égal. La conséquence immédiate de ce changement est que le médecin n’est plus un expert technique. Ne pas le comprendre est dangereux car s’il persiste sous ce statut d’expert technique il deviendra rapidement économiquement inutile! Pour ce nouveau rôle de bionomiste il est aberrant d’imaginer qu’il faut maintenir une formation de type «bac plus douze»!

Cette évolution sociétale vers le tout connecté n’est certes pas dénuée de dangers. Celui qui vient naturellement à l’esprit et sans efforts est l’automédication avec des médicaments fabriqués par des faussaires sans vergogne et qui rendent ces produits potentiellement dangereux disponibles de façon ubiquitaire par le biais d’internet.

Cet internet des «objets» ouvre aussi largement la porte à l’auto-évaluation et à la co-évaluation grâce  à l’expertise partagée dans les réseaux sociaux. Ceci change le rôle du médecin profondément. Il est indéniable qu’il y a des opportunités à saisir et particulièrement en médecine préemptive et préventive. Ceci est un changement de paradigme majeur par rapport à l’approche actuelle essentiellement orientée vers la gestion de la maladie aiguë. Le Président Directeur Général de iHealthLabs Europe, Uwe Diegel,  affirme d’ailleurs «avoir vendu de la maladie pendant 20 ans, mais maintenant de vendre le bien-être». Ce patient/objet connecté devient source d’une quantité d’information encore jamais vue en matière de santé, quantité qu’il va falloir gérer de façon adéquate afin d’éviter  le «burn-out» lié au trop d’information.

Le problème le plus épineux est bien entendu l’aspect «big brother». Selon de Rosnay le danger ne vient pas des «bigs brothers» mais des millions de «little brothers» qui pour une multitude de raisons pourraient être financièrement intéressés à mettre main basse sur cette manne de données. Chez les cadres de Google on pense d’ailleurs que «la vie privée n’existe pas, c’est un mythe». Selon de Rosnay «cette vie privée n’est plus un droit mais elle est devenu un compromis». La vraie question qu’il faut se poser est: quel serait l’intérêt de l’espion? La réponse est évidente: le pouvoir et l’argent!

Selon Cédric Hutchings, Co-fonfateur et Directeur Général de Withings, l’inondation par les objets santé connectés a commencé avec aujourd’hui 113 applications approuvées par la Food and Drug Administration et une multitude (plus de  2 millions) de disponibles. La question est donc épineuse: comment réguler? Comment réguler dans une société totalement dépassée par l’afflux des nouvelles technologies et aux structures décisionnelles désuètes et totalement inadaptées?

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