Entretien exclusif: 10 questions à Maggie De Block

Cinq ans déjà que Maggie De Block, médecin généraliste de formation, est devenue ministre de la santé publique. En cet anniversaire, et à l'approche des élections fédérales, régionales et européennes, nous l’avons rencontrée et posés quelques questions ...vos questions!

La ministre De Block est fière de ses réalisations: «Nous avons travaillé sur trois axes: l’accessibilité aux soins, leur qualité et l’innovation. Nous avons atteint ces objectifs grâce - entre autres - à un prix raisonnable des médicaments, à 25 médicaments orphelins que nous avons apportés aux patients, à la loi qualité et à de nouvelles thérapies révolutionnaires contre le cancer». Il n’en reste pas moins quelques questions pressantes que vous aviez formulées en répondant à notre enquête.

À propos du contingentement, par exemple. Du côté des lecteurs flamands, on se demande pourquoi la ministre cède toujours aux sirènes francophones…
«Les francophones ont trop attendu pour résoudre la question des sous-quotas, qui est une matière régionalisée. Mr Marcourt se mettait toujours en travers. La pénurie de MG, c’est partout, mais surtout en Wallonie. Ce n’est que récemment que les sous-quotas ont été relevés, côté francophone, à 40% de MG - comme c’est pratiqué depuis longtemps en Flandre. Ce relèvement, plus les 3 années de double cohorte, vont nous aider. La Wallonie a aussi une pléthore de spécialistes dans certaines branches. On en voit jusqu’en Flandre occidentale et à Anvers, parce qu’ils ne trouvent pas de travail. De jeunes spécialistes diplômés demandent, après 12 ans d’études, à avoir droit au chômage!»

«L’examen d’entrée a fini par être introduit en Wallonie, après bien des tâtonnements. Nous sommes sortis de l’impasse 60/40 grâce à la Cour des comptes et une clé de répartition basée sur la population. L’excédent est écarté en fonction des besoins. La Commission de planification a calculé qu’il y aurait un excédent de 3.000 côté francophone et il a été réduit à 1.500. La Flandre a également enregistré un excédent cette année, à la suite de plaintes d’étudiants contre certaines questions d’examen. Au final, la barre est fixée à 505 en Wallonie, pour résorber l’écart. Je n’ai pas une approche de principe dure. Un certain pragmatisme est nécessaire, aussi dans l’intérêt des étudiants.»

Les étudiants auront quand même été pris en otage…
«En effet. Mais je ne pouvais pas intervenir de manière trop radicale non plus. J’ai opté pour une période de 15 ans, au lieu de 5, pour tout harmoniser et aussi éviter la liquidation de facultés de médecine francophones. Une fois qu’une faculté disparaît, elle ne revient pas. Ce qui est dommageable pour l’accès à l’éducation. La qualité de la formation est essentielle à mes yeux. Je ne cache pas que ce problème de contingentement aurait été plus digeste si un ministre francophone avait pu le résoudre.»

Réseaux: des implications concrètes à partir de 2020?
Beaucoup de participants à l’enquête s’interrogent, sceptiques. «Quand va-t-on concrétiser les réseaux hospitaliers? A quoi vont-ils servir, finalement, s’il n’y a pas d’implications à leur mise en place? C’est un vrai feuilleton, ça prend du temps (de réunions), sans beaucoup de sens…»

«Il y a des conséquences associées à la formation de réseaux. La reconnaissance de ceux-ci incombe aux Régions. Ils devraient démarrer d’ici 2020. Mais du côté francophone, on a commencé avec 2 ans de retard. La ministre Greoli a tout de même bien pris le dossier en mains ces derniers temps. Elle sait que ces réseaux sont dans l’intérêt de la population. Après tout, c’est une question de soins loco-régionaux. Des soins de proximité, mais avec une expertise bien présente, également. Une maternité avec un taux d’occupation de 29%, ou même pas 200 accouchements par an, ça ne va pas. Il faut exercer selon nos ‘skills’, et assez pour ne pas les perdre.»

Maggie De Block consulte-t-elle trop peu?
Et prend-elle des décisions de façon autoritaire? C’est en tout cas un sentiment répandu dans le corps médical. Il y a quelques mois, les pédiatres protestaient, maintenant, c’est au tour des ophtalmologues…

La ministre De Block évoque la cacophonie qu’elle entend parmi les professionnels quand elle les rencontre. Selon elle, ils ne parviennent jamais à se mettre d’accord entre eux. Elle évoque entre autres les récentes discussions entre ophtalmologues, optométristes et orthoptistes, mais aussi les lettres ouvertes émanant d’unions professionnelles et «qui arrivent au cabinet trois semaines après» - après une médiatisation qui aura transformé la réalité. «Les spécialistes doivent apprendre à travailler ensemble, au lieu de tirer chacun la couverture à soi. Moi je dois me pencher sur les préoccupations de tout le monde, mais avant tout, prendre soin du patient.»

Nos lecteurs rapportent que les soins à basse variabilité ont été introduits à la va-vite…
«La basse variabilité a commencé début 2019. L’Inami a encore envoyé une lettre, pour clarifier les choses au niveau logiciel. Nous ne notons pas de problème sur le terrain. Vous ne pouvez pas justifier l’existence, pour une appendicectomie, d’une différence de facteur 4. Nous avons pris un peu plus que la médiane comme base, pour qu’ils puissent fournir de bons soins mais sans honoraires exagérés [les deux systèmes cohabitent toujours, ndlr]. Il faut utiliser nos ressources dans une optique coût-efficacité, au bénéfice du patient. Et ça marche. Le out of the pocket (le montant à la charge du patient) a diminué en 2016: il est de 15,9% pour la Belgique, contre une moyenne de 18% dans l’UE28, d’après le rapport 2018 Health at a Glance de l’OCDE. On venait de 17,3% en 2015.»

Comment brider les mutualités?
«J’ai relevé l’échelle minimale à 75.000 membres, afin que les mutuelles puissent bien offrir tous les services. Nous avons conclu un pacte avec elles. Leur rôle a changé, il est plus actif: elles agissent moins comme un guichet, elles sont davantage dans le coaching, la prévention et l’information du patient. L’accord de gouvernement ne prévoyait pas de faire disparaître les OA. Personnellement, je suis ouverte à l’idée mais il faut me dire comment on fonctionnerait alors (rires). Notre administration ne peut pas gérer tout ça.»

Où en est le réétalonnage des honoraires?
La révision de la nomenclature faisait partie de l’accord de gouvernement, nos lecteurs s’en souviennent. Pourquoi tarde-t-elle autant?

«Elle est en cours mais elle a nécessité le soutien scientifique des Prs Leclercq et Pirson. Leur méthodologie a été approuvée par le comité de l’assurance, les médecins et le SPF Santé publique. Même Marc Moens la considère comme objective alors qu’il a toujours mis un frein à ce recalibrage!»

Marc Moens imaginait un réétalonnage du bas vers le haut plutôt que du haut vers le bas…
«Peut-être, mais il n’était jamais prêt à commencer. Or, maintenant, il l’est. On ne peut pas mieux payer tout le monde de toute façon. Les honoraires représentent déjà 8 milliards. L’étude Leclercq-Pirson est une avancée. La première étape, qui durera deux ans, commence. Il va y avoir instauration de différents groupes de travail, par spécialités, auprès du SPF. Les actes intellectuels reçoivent un poids différent de celui du passé. L’aspect technique ne doit pas se refléter dans les honoraires, il existe d’autres méthodes. Actuellement, il y a une distorsion historique entre ces deux types d’actes. Les champions, ce sont les néphrologues, mais ils disent qu’ils doivent remettre 83% à l’hôpital.»

La norme de croissance n’étant pas assez élevée, 6 médecins sur 10 estiment que vous n’aviez pas de marge budgétaire…
«Je l’ai déjà dit: la Santé, c’était le département de mes rêves, mais pas le budget de mes rêves! Du 4,5% n’était plus tenable, selon l’OCDE elle-même. Pour rappel: j’ai commencé en 2015 avec 23,85 milliards, en 2019, je termine avec 26,5 milliards, plus des initiatives hors budget de près de 4 milliards, soit 30 milliards. Cela nous place légèrement au-dessus de la moyenne en Europe. Des études comme Health at a Glance relèvent que notre accessibilité est très bonne, la qualité raisonnablement bonne, mais question rentabilité, nous atteignons à peine la 12e place. Nous devons passer à une approche plus multidisciplinaire du patient. Et moins médicaliser certaines situations, comme la grossesse.»

«Je ne suis pas la lobbyiste des médecins»
Quand vous êtes entrée en fonction, les médecins se sont dit: «Aaah, un médecin à la Santé publique, elle saura de quoi elle parle…» Certains sont déçus.

«Ce n’est pas parce que j’étais généraliste que je suis la lobbyiste des médecins. Je suis la lobbyiste des patients. D’où, par exemple, la garde obligatoire que j’ai introduite, même si ça déplaît.»

Le patient n’a pas toujours raison pourtant…
«Non, mais il doit être entendu. On y a veillé en intégrant les associations de patients au KCE, à l’AFMPS, dans les comités de liaison patients dans les hôpitaux...»

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