Une lettre ouverte de médecins en formation contre l’obligation de l'interprétation d’âges osseux

Elles sont quatre médecins en formation,  les Drs Virginie Cordemans, Juliette Coryn, Sakina Moussaddykine, Maïa Nuñez à publier une lettre ouverte et une pétition  adressée aux Corps Académiques Universitaires, aux responsables des Hôpitaux, aux responsables de l’Ordre des Médecins, et aux responsables du Comité consultatif de bioéthique de Belgique contre l’obligation de l'interprétation d’ âges osseux.

 « Il est régulièrement demandé aux médecins radiologues de garde (pour la plupart en cours de formation) de plusieurs hôpitaux de réaliser des déterminations d’âges osseux. Cet examen vise à orienter le mineur étranger non accompagné (MENA) vers le juge d’instruction ou le juge de la jeunesse. L'interprétation de ces âges osseux est faite de plus en plus par des médecins spécialistes en formation, qui n’ont reçu aucune formation spécifique en ce sens et à qui l’on impose la responsabilité légale de cette détermination.»

Pratique inacceptable

Pour la Dr Sakina Moussaddykine actuellement au CHU de Charleroi mais qui a travaillé auparavant à Bruxelles et à Tivoli, cette pratique n’est pas acceptable : « Nous voulons attirer l’attention de tous les radiologues sur cette question. Depuis que je suis en première année de spécialisation, j’ai été témoin de cette injustice. Je l’ai vécue à l’hôpital Saint-Pierre, à Brugmann. Nous devons effectuer une radio du poignet gauche qui doit être effectuée de manière optimale, ce qui est loin d’être le cas. Souvent les personnes ne comprennent pas ce qu’on veut leur dire. En plus, cela repose sur des tables qui n’ont pas de fondement scientifique et qui n'ont pas été établies pour des raisons judiciaires. On sait pourtant que si on dit que telle personne est mineure ou majeure, cela peut changer la vie d’une personne. » 

Pour rappel, la méthode utilisée est l’estimation d’un âge chronologique sur base de tables de maturation de « l'atlas de Greulich et Pyle, qui après avoir étudié une population américaine d’une centaine d’individus, de 1931 à 1942, blancs et aisés, établissent des stades de progression de fusion des cartilages  permettant de déterminer un âge osseux » précise la lettre ouverte. 

Cette requête s’inscrit dans une vision globale éthique de condamnation de l’utilisation de l’âge osseux comme méthode de détermination de l’âge des MENA. « Nous, membres du corps médical, vous sollicitons afin de mettre fin à la participation des candidats médecins spécialistes aux pratiques d’interprétation d’âges osseux, estimant que, scientifiquement, éthiquement et juridiquement cette pratique pose problème. » écrivent les signataires aux autorités académiques, scientifiques, éthiques et hospitalières.

Que dit l’Ordre des médecins ?

De plus, cette pratique va à l’encontre de tout ce qui est mis en place en terme de justice distributive dans les soins de santé puisqu’elle fait appel à des ressources déjà limitées  pour la prise en charge de pathologies urgentes.

L’avis de l’ordre des médecins de 2010 plaide en ce sens: “Le rôle des médecins travaillant au service des urgences est de vérifier si une personne nécessite des soins urgents et, dans l'affirmative, d'apporter les soins adéquats.[...]Vis-à-vis d'une personne amenée au service des urgences par la police, le médecin assumera sa fonction axée sur les soins et s'assurera de la nécessite éventuelle de donner des soins urgents. Un médecin traitant ne peut prêter son concours à une mesure coercitive ou disciplinaire à l'égard de son patient pour qui il est une personne de confiance nécessaire.”

Les observations du conseil de l’ordre des médecins renforcent aussi les signataires sur la situation.  Il déclare que: “L'interprétation d'une radiographie n'est pas une méthode infaillible pour déterminer l'âge d'une personne. Cette interprétation requiert une expertise spécifique” ; “L'exposition aux rayons ionisants n'est justifiée éthiquement que si elle offre plus d'avantages que d'inconvénients.” ; “L'examinateur doit disposer du temps nécessaire et des conditions propices à la réalisation d'un test de qualité.” “Le médecin chargé d'évaluer l'âge d'une personne doit avoir une compétence professionnelle suffisante dans le domaine soumis à son appréciation et garder son indépendance et sa pleine liberté professionnelle.”

Les auteurs de la lettre notent également que la loi-programme spécifie que “Si le test médical établit que l'intéressé est âgé de plus de 18 ans, la prise en charge par le service des Tutelles prendra fin de plein droit.” En d’autres termes, cela implique que si l’âge majeur du patient est confirmé, la protection dont il est supposé bénéficier en tant que mineur, s’arrête. Il sera dès lors exposé à des conséquences et sanctions pénales bien plus lourdes, à savoir une détention en prison pour adultes. Or, aucun candidat spécialiste n’est correctement informé par les autorités de l'hôpital et académiques sur ces conséquences immédiates pour le patient. 

Ils demandent donc l’arrêt de la réalisation d’âge osseux par les assistants en radiologie, un avis du comité consultatif de bioéthique de Belgique, une loi encadrant de manière précise la réalisation de ces âges osseux, un contrôle sur le terrain du respect du cadre légal, une mobilisation médicale globale sur l’usage de procédures scientifiquement non validées à des fins juridiques et sociales.

> Lire la lettre ouverte dans son intégralité et signer la pétition

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Derniers commentaires

  • Edith Hesse

    24 octobre 2022

    Une excellent analyse critique des tests osseux de détermination de l'âge a été réalisée par le Human Rights Center de l'Université de Gand et CESSMIR un autre département spécialisé de la même université. Ils sont intervenus formellement dans un dossier qui est actuellement porté devant la Cour européenne des droits de l'homme pour expliquer aux juges pourquoi et comment ces tests sont problématiques. Selon l association NANSEN, il n'y a pas de raisonnement plus abouti ni plus récent que celui-là - les médecins ne doivent pas hésiter à partager cet argumentaire avec les avocats, dans leurs dossiers impliquant des tests osseux.
    Voici le texte de leur intervention https://hrc.ugent.be/wp-content/uploads/2022/03/TPI-BARRY_Ghent-University_17March2022.pdf

  • Yves Van Crombrugge

    13 octobre 2022

    La détermination de l'âge osseux est un geste utile et indispensable , selon moi , pour des dossiers à définir ......
    La justice a très souvent demandé du temps pour instruire un dossier . je ne crois pas que cette détermination en urgence soit utile, Quelle compétence, authentifiée par des personnes qualifiées faut-il pour déterminer l'âge osseux . Elle existe , c'est sur , mais doit être réservée aux spécialistes reconnus dans ce domaine . Mais , pour moi , ce test n'a aucune justification en urgence , pour prendre une décision médicale . . Je souscris donc à " Ils demandent donc l'arrêt de la réalisation de l'âge osseux par les assistants en radiologie , un avis du comité consultatif de bioéthique, une loi encadrant de manière précise la réalisation de ces âges osseux , un contrôle sur le terrain du cadre légal, une mobilisation médicale globale sur l'usage de procédures scientifiquement non validées à des fins juridiques et sociales . Dr Yves Van Crombrugge