Covid19 : «Nous avons perdu beaucoup de temps » (P. D’Otreppe)

« Notre retard dans l’implémentation de la transformation digitale, dans l’intégration structurelle des acteurs de santé et dans le développement d’un modèle de santé tourné vers l’anticipation et non vers le passé nous a ralenti dans la compréhension de la crise actuelle et dans la qualité de notre réaction » selon Paul D’Otreppe, président de l'Association belge des directeurs hospitaliers (ABDH).

Au quotidien, le travail dans l’hôpital depuis le début de la pandémie a profondément changé mais la force de travail des infirmières et des médecins est au rendez-vous : « Les équipes travaillent sans relâche et nous avons pu nous adapter à cette urgence sanitaire » explique Paul D’Otreppe, directeur général des cliniques St Luc à Namur et président de l'Association belge des directeurs hospitaliers (ABDH). Toutefois, nous critiquons chaque jour les décideurs qui n’ont pas implémenté les réformes … mais ne nous remettons jamais en cause dans les freins face à ces changements.  

Exceller dans la gestion des datas … ou se concentrer sur les risques du Big Data

 Face à l’afflux de patients Covid, il est vite apparu évident que c’était la disposition de données fiables et exhaustives au niveau décisionnel fédéral qui seule pouvait permettre de réagir avec précision et fiabilité. Ou arrivaient les patients ? Dans le Limbourg, le Hainaut ? Ou sont nos moyens de prises en charges ? Avons-nous le matériel adapté ? Quid de la disponibilité de nos acteurs médicaux et infirmiers ? 

« A  Namur, comme dans toutes les provinces belges c’est au niveau des réseaux que nous avons tenté d’améliorer notre digitalisation pour bien suivre l’évolution de la pandémie, déterminer le matériel nécessaire consommé chaque jour, anticiper les risques de pénuries en médicaments, en matériel … et l’on a, de cette façon, construit une vue acceptable de l’état de prise en charge de tous les patients Covid-19 dans nos hôpitaux. »  Paul D’Otreppe ajoute : « C’est cette information vitale qui se devait d’être intégrée au niveau belge pour permettre une réaction adaptée et dont le morcèlement de notre système de santé a rendu ceci complexe. Ce sont les décisions fédérales qui en découlaient qui permettaient de s’adapter. »

Pour lui il est anormal que « chaque matin, c’est manuellement que nous encodons nos informations au niveau fédéral faute d’un système d’automatisation et d’intégration qui n’a pas été pensé avant. Pour l’avenir, mieux penser à l’intérêt d’intégrer nos datas pour gagner en efficacité et en réactivité face à ce type d’événement sera un must. » 

Pour lui, « aujourd’hui, nous ne sommes qu’à 10% des possibilités de digitalisation dans les hôpitaux. On est encore à l’âge de pierre. Ce n’est pas excusable

 Le problème est-il un manque d’argent … ou d’efficacité ?

Les problèmes rencontrés dans les hôpitaux ne sont pas liés à un manque d’argent selon lui : « On se trompe de débat. Ce n’est pas une question d’argent mais d’efficience. On observe qu’il n’y pas de lien évident entre les moyens mis à disposition et l’efficience d’un système de santé. La Belgique est vice-championne du monde en termes de dépenses sociales publiques. »

Là aussi il y a une urgence : « Il faudra à ce niveau un débat avec les acteurs de soins et les responsables politiques au niveau fédéral pour tirer les bonnes leçons de cette pandémie en matière d’efficacité : on a perdu trop de temps, ces dernières années, dans la mise en œuvre des réseaux hospitaliers indispensables pour répondre à ce type de crises, dans une réforme lente d'un financement nécessaire par pathologies bien mieux adaptée à la situation actuelle, dans des timides avancées en digitalisation de notre offre des soins (téléconsultation, data mining, intelligence artificielle, Internet of Things,...). On va devoir désormais oser poursuivre sur le terrain des réformes pour gagner en efficacité. »

Pour lui, « Notre responsabilité est désormais autant de juguler cette pandémie Covid-19 que de se préparer pour la prochaine pandémie dans 10 ans Covid-29 mais comment ? »

La question du matériel 

Les tensions concernant les masques de protection et les tests de dépistages pour le personnel pendant les premières semaines ont été réels : « Ce sont des investissements qui doivent être faits sur du long terme et qui doivent découler d’une bonne organisation. » 

Pour Paul D’Otreppe, le grand débat aujourd’hui est la gestion du temps avant l’arrivée du vaccin : « Devant nous, nous avons une période probable de 9 à 12 mois en attendant l’arrivée d’un vaccin. Quelle va être notre capacité de suivi des patients pendant cette période ? Comment se protéger efficacement d’une extension de l’épidémie ? Quels moyens de protections adopter et comment se les procurer ? » 

Il ne cache pas ses craintes : « Si nous n’avons pas le matériel nécessaire et que l’on communique mal, on va créer une certaine psychose. Pour l’instant, le système n’est pas bon parce qu’on ne sait pas quelle personne est « clean » ou pas. L’urgence est de se donner la bonne organisation pour résoudre cet aspect essentiel » 

Tout ceci ce sont bien les débats du Covid-19 mais la vraie question sera « quels enseignements tirer de cette épidémie et nous préparer pour le futur et aurons nous le courage de les appliquer ? » 

 Le débat des tests

 Quelle stratégie adopter en termes de tests de dépistages ?  Quels en sont les effets attendus ? Il est conscient de la difficulté à laquelle les médecins sont confrontés : « Aujourd’hui, les médecins ne savent pas tout résoudre. Ils n’ont ni la capacité de tester tous les patients ni de tests qui répondent à 100% à la question.  Nous attendons des solutions à ce niveau en démultipliant les zones de tests mais tout le monde ne pourra sans doute pas être testé à la fin du confinement. »

Se tourner vers les maisons de repos

Si toute l’attention pour contrer le Covid-19 a été ces dernières semaines principalement focalisées et bien géré par la première ligne et les hôpitaux, c’est désormais sur les maisons de repos que l’on se tourne actuellement.

A son niveau, il souligne que des solutions existent : « Les maisons de repos ont été laissées trop longtemps seules. Les hôpitaux et les structures de soins à domiciles se doivent de les aider car ils ont les médecins, infirmiers compétents et la connaissance scientifique pour répondre à toutes leurs questions et ainsi mettre en place les bonnes solutions. C’est uniquement ensemble avec tous les acteurs concernés que l’on peut gérer ce problème. »

Les solutions existent selon lui : «  On voit désormais s’instaurer des téléconférences de formation entre ces maisons de repos et des coach infirmiers ou médecins hospitaliers.  Cela doit permettre d’améliorer la prise en charge dans les maisons de repos et surtout d’éviter des transférer inutilement des patients vers l’hôpital si ils peuvent être soignés efficacement dans leur maison de repos avec un bon accompagnement. »

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Derniers commentaires

  • Pierre Frans Remacle

    13 avril 2020

    Avec toutes mes félicitations pour cette analyse très brillante .

    Dr Pierre REMACLE