Départ de Jo De Cock (1): «L’heure est au changement»

Dans ce premier volet consacré au départ de Jo De Cock de son poste d'administrateur général de l’INAMI, nous nous concentrons sur la relation entre l’administration et le politique, les principaux changements au cours des dernières décennies, la transparence et l’efficacité des soins. 

Après 25 ans à la tête de l’INAMI, on se demande forcément si l’administration n’a pas plus de pouvoir qu’un ministre, puisque les ministres vont et viennent.

«L’administration n’est pas le principal pilote de l’État. Ce rôle revient au gouvernement, au parlement», dit Jo De Cock. «L’administration a pour but d’escorter le navire des soins de santé avec des pilotes compétents, qui savent où se trouvent les bancs de sable et les canaux de navigation. La préparation et l’orientation politiques et le fonctionnement opérationnel pour le citoyen relèvent en grande partie des mutualités, pour l’assurance maladie. Non pas que nous restions les bras croisés : nous devons nous assurer de ne pas être un “blind payer” et d’avoir des données à disposition.»

Qu’est-ce qui a le plus changé ces 25 dernières années, au sein de l’INAMI?
«J’ai hérité d’une administration à l’ancienne, d’un chapelet d’îlots, de services qui se parlaient à peine les uns aux autres. Grâce au travail d’équipe, nous avons pu orienter cette transformation vers une organisation multidisciplinaire forte d’une riche expertise et qui ose développer sa propre stratégie.»

Qu’est-ce qui peut encore être amélioré?
«L’utilisation des données. John Crombez dit que nous pouvons trouver trois milliards dans les soins de santé, mais un simple changement de nomenclature ne suffira pas. C’est surtout notre attitude que doit évoluer. Un livre que je recommande à tous l’illustre très bien, “Noise”, de Daniel Kahneman. Ce psychologue a remporté le prix Nobel d’économie. Il y parle de l’importance de prendre des décisions dans divers domaines et de créer des structures pour changer de comportement.»

«Lorsque nous avons découvert une utilisation excessive de l’imagerie médicale, il a fallu en exposer les raisons. Nous avons essayé de faire pression avec un “decision support”, mais un médecin n’est pas un ordinateur. Les incitants financiers sont également importants, tout comme l’organisation des services d’imagerie médicale. Notre objectif est d’obtenir des substituts de ressources, de ne pas ajouter constamment à la pièce montée du budget belge.»

Pourtant, il est étonnant de constater de voir comment une pandémie permet soudainement de débloquer de grosses sommes pour les soins de santé, alors qu’auparavant seules les économies de coût étaient évoquées.
«Pour réagir rapidement, des bases saines doivent exister. C’était le cas pour le projet de la numérisation. Nous avons investi énormément d’énergie avec le ministre pour accroître notre capacité de test, mais aussi pour avoir une bonne politique de prix de test.»

Mais, les procédures d’identification des laboratoires qui ont finalement été intégrés dans ce plan se sont avérées, selon certains initiés, plutôt «obscures».
«Je ne peux vous donner raison. Nous nous trouvons là dans la délicate zone du financement d’une organisation. Dans la province d’Anvers, cinq laboratoires étaient en mesure de le faire, mais aucun dans le Hainaut et à Namur. Nous voulions alors identifier les variants, cela n’avait de sens que si c’était fait sur l’ensemble du territoire. Vous ne pouvez pas valider tout le savoir-faire, sinon chaque hôpital serait autorisé à tout faire.»

«Et ce n’est pas tout. La biologie moléculaire est également liée au dépistage génétique, et on pensait jeter les bases pour l’avenir, le dépistage NGS, etc. Ce n’était pas le cas. Il y a eu de nombreux mécontentements, mais je pense que nous sommes arrivés à une solution juste.»

En parlant de solutions: où en sont le groupe de pilotage pour des soins plus efficaces, que vous dirigez, et ses trois groupes de travail?
«Le 15 juillet, nous ferons rapport au ministre. Il y a environ 180 propositions pour un groupe de travail et à peu près le même nombre pour un autre. Elles sont toutes analysées, discutées et classées par ordre de priorité. Le troisième groupe se consacre à l’élaboration d’un cadre pluriannuel. Il est important de donner la priorité aux bons soins, donnés au bon endroit par les bonnes personnes. L’Université de Gand a publié un rapport à ce sujet (“over appropriate care”).»

«La norme de croissance de 2,5 % est un fait. Et nous constatons une différence positive de 200 millions dans les estimations techniques provisoires de l’INAMI par rapport aux objectifs budgétaires. ( Lire aussi Budget santé: 200 millions d'excédent budgétaire )

Si ces chiffres se confirment en septembre, nous pourrons changer beaucoup de choses. Une partie pourrait servir à prendre de nouvelles initiatives pour rendre les soins plus accessibles et les améliorer si nécessaire. Mais pas pour injecter plus d’argent dans des soins qui n’apportent aucune valeur.»

Comment voyez-vous votre rôle dans ce groupe de pilotage à l’avenir ?
«C’est encore en cours de discussion. Je ne veux pas jouer les belles-mères. Ma participation à la commission médico-mutualiste et à la commission médecins-hôpitaux a déjà donné de beaux résultats. Reste à savoir comment en faire un processus itératif. Le rapport sera prêt le 15 juillet et nous devrons alors juger si cette méthode peut encore être utilisée à l’avenir.»

«Jusqu’à présent, chacun se présentait avec sa liste de desiderata, sans vraiment avoir de stratégie globale. Les choses doivent changer.»

«Nous sommes par ailleurs à un point-charnière : la part des personnes de plus de 80 ans va percer. Nous connaissons maintenant une période caractérisée par des cohortes de plus de 80 ans extrêmement faibles, en raison de la guerre. Cela va changer, également grâce aux capacités de numérisation et aux données que nous avons à notre disposition. Nous devons les exploiter.»

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