Paiement des médecins à l’acte ou au forfait : tout fustiger… pour ne rien changer ? (S. Rillaerts)

Alors que le débat sur la réforme de la rémunération des médecins hospitaliers oppose une fois de plus tenants du paiement à l’acte et défenseurs du forfait, l’expert en gestion hospitalière Stéphane Rillaerts plaide pour une approche dépassant les oppositions caricaturales. Il appelle à une responsabilisation accrue des médecins dans la gestion des établissements et met en garde contre les effets pervers d’un découplage entre activité médicale et financement hospitalier.

La question du mode de paiement des médecins en Belgique vient à nouveau de faire l’objet d’une passe d’armes entre les partisans d’une rémunération forfaitaire et ceux qui souhaitent maintenir un paiement à l’acte, sur le principe : un acte = un code INAMI = un montant d’honoraires. Comme souvent, les tenants de chaque système viennent de s’opposer à des exemples pris dans les systèmes européens voisins, soigneusement sélectionnés et brossés grossièrement, pour nous expliquer combien le système défendu par l’autre « camp » serait préjudiciable à la qualité des soins de notre système de santé. Peut-on tenter de sortir des caricatures ?

Tout d’abord, un constat : il n’existe quasiment plus aucun pays d’Europe où la rémunération des prestataires à l’hôpital est basée sur un système à l’acte, à l’exception de la Belgique et du Luxembourg. Sommes-nous donc les seuls pays du continent à jouir du privilège de disposer de bons hôpitaux ? De même, il existe 12 hôpitaux en Belgique où les médecins ont un statut de salarié. La qualité des soins y est-elle significativement inférieure à celle des autres hôpitaux du pays ?
Le débat est enfermé dans les alternatives manichéennes d’une rémunération purement forfaitaire d’une part, qui transformerait les médecins en fonctionnaires démotivés ; ou strictement proportionnelle au chiffre d’affaires d’honoraires réalisés, d’autre part, ce qui inciterait les médecins à produire des actes inutiles.

Mais la réalité est beaucoup plus nuancée. Dans les hôpitaux où les médecins sont salariés, les réglementations médicales prévoient de nombreux compléments ou avantages liés à l’activité effective des prestataires. À l’inverse, dans les hôpitaux où les médecins ont un statut d’indépendant, la rémunération est rarement directe, elle passe par des « pools » de service, des montants de base garantis, des lissages divers. Dans la multiplicité de systèmes de rémunération sophistiqués et tous organisés localement, comme notre pays en a le secret, on arrive en fait à ce que la plupart des médecins hospitaliers perçoivent une rémunération qui est partiellement influencée par le niveau de « production », avec une forme de garantie minimale de rémunération dans les cas où celle-ci devrait s’avérer réellement insuffisante.

Actes inutiles ?
Selon une antienne souvent répétée, 30 % des actes médicaux produits dans les hôpitaux belges seraient « inutiles », ce qui justifierait notamment la réforme des honoraires en cours (mais on trouve facilement des références en Suisse, en France ou aux États-Unis qui font le même constat, alors que le mode de rémunération des prestataires est fort différent). Certains représentants médicaux ne se privent pas de critiquer cette « surproduction », qu’il faudrait réduire pour faire des économies. On accuse même régulièrement les gestionnaires d’hôpitaux de « mettre les médecins sous pression » afin qu’ils produisent plus. Certes, mais lorsque l’équation que le corps médical leur pose, c’est qu’il n’est pas acceptable de voir leur propre rémunération baisser, dans un mode de rémunération à l’acte, pas moyen de faire autrement…

Impliquer les médecins dans la gestion
Mieux intégrer le corps médical dans la gestion hospitalière, comme le ministre Vandenbroucke affirme le souhaiter, passe nécessairement par une responsabilisation plus grande du corps médical à la situation financière globale de l’hôpital où il travaille : plus de pouvoir ne peut aller qu’avec plus de responsabilité. Cela n’empêche nullement que la rémunération individuelle de chacun soit partiellement liée à une intensité de travail et d’implication, sans qu’il y ait pour cela un lien strictement proportionnel au nombre d’actes produits. C’est d’ailleurs faire injure à toutes les autres professions soignantes (et non soignantes !) de l’hôpital que de sous-entendre que leur statut de salarié à rémunération fixe ne les inciterait pas à produire les meilleurs soins et à assumer des prestations supplémentaires quand c’est nécessaire.
Enfin, on s’interroge, dans cette logique, sur la dissociation prévue dans la réforme des honoraires en cours, qui semble aller dans un sens opposé à cet objectif : selon les perspectives annoncées, la part prélevée par le gestionnaire sur les honoraires pour couvrir ses coûts sera intégrée forfaitairement dans le budget de l’hôpital, et l’honoraire « pur », versé au médecin, restera lié à l’acte : de quoi déresponsabiliser bien plus encore le prestataire de l’économie de l’hôpital.

Que le corps médical ne vienne pas se plaindre alors s’il ne dispose pas d’équipement et de personnel en suffisance pour pouvoir augmenter le nombre d’actes (et donc sa propre rémunération) autant qu’il l’estime nécessaire, si l’hôpital doit gérer ces moyens sans aucun rapport avec le nombre d’actes prestés !

Si l’on voulait créer des tensions entre gestionnaires et médecins et des files d’attente là où il n’y en a pas, on ne s’y prendrait pas autrement…

  • Stéphane RILLAERTS

    - Docteur en sciences de gestion Solvay ULB

    - Directeur Général de plusieurs hôpitaux, publics et privés, entre 2000 et 2024

    - Chargé de cours à l’Ecole de Santé publique et à la Solvay Brussels School (Mastère en Management des Institutions de Soins et de Santé) de l’ULB

    - Auteur de nombreux ouvrages et articles sur la gestion hospitalière

    - Gérant de SCCA Formaconsult SRL (www.scca.be)

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